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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Un peu de tenue

Avez-vous lu cette information ? Dans la rue, un jeune homme aurait été apostrophé par trois filles : « Oh, regarde ce gigolo en petit slim ! ». Il aurait marqué un temps d’arrêt avant de se retourner pour demander des explications. Les filles se seraient jetées sur lui pour le frapper au bas-ventre afin de le punir d’avoir osé se rebiffer. Ou d’avoir été attirant, on ne sait pas vraiment. Avez-vous lu cette information ?

Non. Car ce n’est pas très fréquent que des filles agressent un garçon pour lui reprocher sa tenue vestimentaire et l’effet que celle-ci pourrait produire sur celles-là. Que des garçons ou des filles agressent une autre fille au sujet de son habillement, cela est arrivé, mais on ne trouve pas trace, notamment sur Internet, d’un tel comportement envers un garçon de la part de quiconque. C’est qu’il est fort bien admis, on le sait bien, que le garçon ou l’homme s’habille selon son choix, pour des raisons variées qui ne regarde que lui et dont il n’est comptable auprès de quiconque, quel que soit l’érotisme qu’il dégage.

Tenue correcte exigée…

Alors que les filles, les femmes, subissent des injonctions fortes, sous-entendues et parfaitement intégrées, et que, parfois, elles se donnent à elles-mêmes, quant à l’usage qu’elles font du tissu qui couvre et découvre leur corps. En conclusion, le corps de la femme n’est jamais loin d’être rangé au rayon des marchandises consommables. Ainsi, devrait-elle être suffisamment féminine pour conquérir sans être aguicheuse (afin de ne pas être suspectée de se vendre), séduisante pour séduire sans être séductrice. Et si l’on dit « séduisante », on ne parle en général pas de compétences intellectuelles ou d’un irrésistible sens de l’humour, mais bien de la mise en valeur d’attributs à caractère sexuel, révélés ou masqués, mais toujours valant pour… étalon… de sa supposée lubricité intrinsèque. Ce furent tour à tour les cheveux, la nuque, les chevilles, la gorge, les fesses, aujourd’hui les épaules ou le ventre, et au paroxysme d’un contrôle impuissant, le visage et/ou le corps dans son entier.

Cela a été écrit et répété, mais sans doute pas encore bien entendu : admettre que le corps en partie révélé des femmes justifierait les pulsions agressives d’un désir incoercible des hommes renvoie les mêmes hommes au rang d’animaux – qui eux, pourtant, pourraient être éduqués par quelque dompteur. Allons au bout du raisonnement : éduqués, disions-nous ? Mais les garçons le sont, depuis toujours. Par leur famille, par l’école, par les messages envoyés par la société, qui trouve parfois pertinent de vendre yaourts ou pneus en associant ces produits au corps érotisé des femmes. N’y aurait-il pas là un pléonasme ? Tout se passe en effet comme si le corps des femmes même vêtu ne peut qu’être érotisé. Et cette idée sous-tend les obligations qui sont faites aux jeunes filles, y compris, parfois, par leurs éducatrices.

Emmanuelle Piquet a publié en 2018 Je me défends du sexisme, ouvrage dont la discrète audience, par rapport à son titre précédent, Je me défends du harcèlement, dit bien que le sexisme n’est pas vraiment considéré comme un fléau devant être combattu par l’ensemble des citoyens, ni même une préoccupation devant être partagée par les personnes de tout sexe. Dans ce livre, on peut lire l’histoire d’Élise, qui ne manque pas de résonner avec l’actualité et qui a l’avantage d’offrir une piste intéressante, pour que chacun s’occupe plutôt de son propre nombril, et possible à mettre en œuvre facilement – même si nous aimons beaucoup l’idée de se rendre à l’école républicaine nues mais drapées de tricolore, ce qui n’est pas, il faut bien l’admettre, facile à mettre en œuvre.

Très sororalement, Emmanuelle vous offre ce chapitre d’un ouvrage qui a donc toute sa place dans toutes les bibliothèques.

« Habille-toi comme je veux ! »

Élise, 14 ans, apostrophe Emmanuelle au cours d’une réunion amicale pour lui dire qu’au collège, « Franchement, les profs et l’administration, ils ont un problème : toujours à l’affût du moindre sujet qui pourrait perturber les hormones des garçons et les déconcentrer dans leurs études, et en particulier les tenues des filles.

Le pire, c’est ma prof de maths, elle a vraiment un souci : elle nous scrute de haut en bas, nous les filles quand on entre dans sa classe. Et il y a au moins un incident par cours. Ses cibles préférées ? Les épaules dénudées et la bretelle de soutien-gorge apparente. En ce moment, le jean déchiré, qui l’excite monstrueusement. Mais elle est beaucoup moins gênée quand c’est celui des garçons : une fois, Gustave est passé devant elle avec un jean qui avait plus de trous que de tissu ; elle n’a rien dit, genre aveugle. Alors qu’un plus tard, elle a mis un mot dans le carnet de Jeanne précisément pour cette raison.

Comme je suis déléguée, j’ai levé la main et je lui ai dit :

« Madame, franchement, pourquoi c’est valable pour les filles et pas pour les garçons vos règles d’habillement ? Il est où le problème ? » .
Elle m’a répondu qu’être une jeune fille signifiait encore quelque chose pour elle et qu’elle voulait nous éviter de nous mettre en danger en ayant des tenues trop provocantes.

J’ai rétorqué qu’on était assez grandes pour savoir comment on pouvait s’habiller. Elle m’a dit que je ferais moins mon intéressante si je me faisais violer un jour… et là, j’ai répondu que si un jour je me faisais violer, ce serait de la faute de mon violeur, pas de la mienne.
Les filles de ma classe m’ont applaudie. Mais la prof m’a mis un mot sur le carnet pour « impertinence » en précisant avec une espèce de sourire hyper méchant : « Même les féministes se font violer, Élise ».

C’est pas incroyable, ça ?
Là-dessus, elle a trouvé un truc assez pervers pour sanctionner les tenues qu’elle juge trop provocantes. Elle nous a « proposé » le choix suivant : soit elle nous file quatre heures de colle et mot sur le carnet ; soit elle nous donne le T-shirt jaune de l’AS du collège (elle en a une pile dans sa salle) et on doit les mettre en échange de nos affaires, qu’on récupère à la vie scolaire en fin de journée. Le T-shirt jaune, c’est genre le T-shirt dégueulasse que personne ne veut porter sauf pour une soirée déguisée, horrible.

La vérité, c’est que quand tu te retrouves dans la cour avec ce T-shirt, en gros, t’as envie de mourir. Pour l’instant, tout le monde a préféré les quatre heures de colle, sans hésiter. Mais surtout, en maths, nous les filles, on fait gaffe à la façon dont on s’habille. Elle a gagné, quoi.

Le pire, c’est que maintenant elle impose les mêmes règles en dehors de ses heures de cours, toujours aux filles en priorité. Elle est limite de nous poursuivre dans les couloirs du collège. Je suis évidemment en pleine ligne de mire, vue ma sortie de l’autre fois. Ce qui est embêtant, en plus, c’est qu’elle est hyper soutenue par le proviseur : il a dit en conseil de classe qu’il était « to-ta-le-ment sur la même ligne qu’elle » Et je me demande ce que je pourrais faire pour que ça change.

J’ai demandé à Élise si les autres filles de sa classe étaient aussi ulcérées qu’elle. Elle m’a répondu que c’était le cas, mais aussi de certains garçons, qui trouvaient hallucinante l’inégalité de traitement entre les deux sexes.

« Combien, à ton avis, seraient prêts à se mobiliser ?

– Au moins 20 sur 32.
– Pour un de mes patients lycéens, j’ai cherché le prix des T-shirts personnalisés sur Internet. Il y en a à 3,90 euros. Je les choisirais jaunes… Tu me suis ?
? Je te vois venir ! dit Élise qui me connaît bien.
? Oui, je me disais qu’un jour, vous pourriez décider de venir toutes avec une tenue qui laisse voir une bretelle de soutien-gorge. Toutes. Votre prof commencerait donc à vous demander de vous changer. Vous sortiriez toutes avec ses T-shirt jaunes sous le bras… et vous pourriez revenir après avoir enfilé les vôtres. Les personnalisés.

On inscrirait quoi dessus ?

– Je sais pas…

– Victimes d’une institution sexiste ?

– Excellent. Très bonne idée, même si évidemment, ça ne va pas être du goût de tout le monde, il va falloir se préparer à une sanction collective.

– C’est ça être résistant », a rétorqué Élise. Voici ce que la jeune fille a raconté à Emmanuelle, quelques semaines plus tard : « On était toutes super excitées avec nos T-shirts jaunes dans nos sacs et on a presque toutes exhibé une bretelle de soutien-gorge ou un décolleté trop plongeant du point de vue de la prof. Je pense qu’on devait avoir un air triomphant qui lui a mis la puce à l’oreille, et puis, surtout, elle a dû nous trouver trop nombreuses. Du coup, elle a rien dit. Du tout. Tu te rends comptes ? On était super déçus de ne pas avoir mis nos T-shirts. On a décidé qu’ils seraient toujours dans nos sacs et qu’à la prochaine remarque on l’enfilerait tous « comme un seul homme ! »

Bonne rentrée à toutes les filles ! Prenez soin de vous, et prévoyez un crop-top un peu plus chaud : automn is coming.

Muriel Martin Chabert