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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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« Un Monde » : Regards croisés d’une thérapeute et de la réalisatrice Laura Wandel

Sorti en salle le 26 janvier dernier, « Un Monde » replonge les adultes dans le monde de l’école et des enjeux relationnels des enfants. Amélie Devaux, thérapeute brève et stratégique sur le modèle de Palo Alto, a eu la chance d’intervenir aux côtés de la réalisatrice Laura Wandel lors d’une projection débat de son film au cinéma Utopia de Saint-Ouen l’Aumône.

Extrait choisi d’un passionnant échange autour des apprentissages relationnels.

Amélie Devaux: une des choses qui m’a le plus frappée, je crois, dans ton film, que j’ai adoré, c’est qu’il donne à voir à quel point les apprentissages relationnels sont beaucoup plus importants pour les enfants à l’école que tout le reste. Et également, cette idée que quand les relations avec les autres sont douloureuses, cette douleur a un impact considérable sur tous les aspects de la vie de l’enfant, ses apprentissages académiques, ses relations à maison, l’acquisition de son autonomie au quotidien. Parce que la matière principale à l’école, c’est « être avec les autres » c’est pas le français, c’est pas les maths, c’est vraiment la relation avec les pairs. Et ce qui s’y joue à ce moment précis a un impact ici, maintenant, mais aussi plus tard, parce que précisément, les enfants en tirent des conclusions plus ou moins aidantes sur les relations.
Parce que le problème, c’est qu’on ne leur apprend pas les relations tout court. On ne leur apprend pas. Ils apprennent sur le tas, ils apprennent dans la cour de récré, ils apprennent entre eux, mais on ne leur apprend pas les relations. On les fait vivre ensemble en disant « voilà, maintenant vivez ensemble ». Mais ça veut dire quoi vivre ensemble ? Ça veut dire parfois aussi savoir gérer quand on tombe sur un méchant. Qu’est-ce qu’on fait face à un méchant ? Qui sait répondre à cette question ? Il y a des enfants qui ne trouvent jamais comment faire et personne n’est là pour leur donner des explications, des outils. C’est ce qui rend Nora si désemparée dans ce film, c’est qu’aucun adulte n’est capable de répondre à cette question pourtant cruciale.

Laura Wandel : Oui, c’est pour ça que  j’avais envie de placer ma caméra dans une école parce que je me dis que quand même on y est tous passés, on y a tous passé minimum douze ans de notre vie, plus de huit heures par jour, et j’ai l’impression que c’est en effet un passage qui ancre  beaucoup de choses en nous et qui conditionne notre manière de voir le monde après en tant qu’adulte. Parce que parfois, on est prêt à abandonner pas mal de soi, de sa propre identité, de ses valeurs pour être intégré à une nouvelle micro société. Et ça nous modifie dans notre identité et aussi dans notre façon d’être avec les autres ensuite.
Donc, j’ai passé énormément de temps dans les écoles à observer, à discuter avec des instituteurs, des directeurs d’école, des enfants, des parents.
Déjà la première chose, avec les enfants, c’est qu’au casting, je leur demandais de me dessiner leur cour de récréation et de m’expliquer les jeux auxquels ils jouaient. En fait ils ont jamais lu le scénario. Ils savaient seulement que ça parlait de la question du harcèlement et de la difficulté pour un frère et une sœur dans le monde de l’école. Parce que ce qui me faisait peur, c’est de me retrouver face à des dialogues d’adultes dans des corps d’enfants. C’était important pour moi qu’ils se réapproprient l’histoire et qu’ils aient une part de créativité aussi, qu’ils puissent aussi nourrir le récit. On leur a demandé de créer la marionnette de leur personnage pour qu’ils fassent bien la distinction entre eux et le personnage. La deuxième étape c’était qu’on leur expliquait le tout début d’une scène et on leur demandait « À votre avis qu’est-ce que votre personnage il pourrait faire ? Qu’est-ce qu’il pourrait dire ? Comment ça pourrait se passer ? » On construisait la scène tous ensemble. On a travaillé pendant trois mois avant le tournage, tous les week-ends. On se voyait avec les enfants justement pour développer le scénario ensemble. Ensuite, on leur demandait d’improviser pour engager leur corps et proposer des dialogues. Parfois, ils proposaient des trucs encore plus intéressants que ce que moi-même j’avais écrit, donc je réécrivais après. C’était constamment un échange. En dernière étape, ils ont dessiné chaque scène et on a parcouru le scénario de cette manière. Donc ils ont dessiné tout le film et c’est devenu leur base de travail. Ici par exemple la scène numéro 7 c’est la scène dans le gymnase. On leur ressortait leur dessin et ils savaient exactement de quoi parlait la scène et ça leur permettait encore au tournage de chercher au niveau de l’improvisation et tout ça.

Amélie Devaux : C’est pour ça que c’est si terriblement juste. Parce qu’on voit ce fléau à travers leurs yeux. Nous, dans nos centres, nous travaillons uniquement avec les enfants harcelés. C’est que comme toi, Laura, nous voulons voir le problème à travers leurs yeux, pour trouver une solution qui va passer par eux, pour mettre fin à leurs souffrances. Et je trouve que ce que tu décris sur le processus mis en place avec les enfants c’est vraiment ce qu’on ressent là dans le film, c’est qu’on est avec eux vraiment, la caméra elle est là (au niveau des yeux de l’enfant), elle n’est pas au niveau de l’adulte. Et si j’élargis métaphoriquement à la question globale du harcèlement, je pense vraiment qu’on ne peut régler efficacement et durablement ce problème qu’en se mettant au niveau de l’enfant, à essayer de comprendre ses enjeux, les contraintes qui sont les siennes, les émotions qui le tenaillent, et pas seulement, comme c’est trop souvent le cas, à la seule hauteur des principes moraux du monde adulte. On sent bien que ce sont leurs yeux qui ont fait ce film et qu’au final, tu n’étais qu’un outil au service de ce qu’ils avaient à dire, tout comme nous en thérapie on est qu’un outil dont ils peuvent s’emparer au service de la résolution de leur problème. »

Toute l’équipe A 180 Degrés/Chagrin Scolaire vous encourage à aller voir ce film, qui aborde le sujet du harcèlement scolaire avec une rare finesse.