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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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PISA 2023[1] : le chiffrage d’un échec en matière de lutte contre le harcèlement

On aura beaucoup parlé de baisse du niveau en mathématiques et français dans les commentaires des résultats de cette nouvelle enquête PISA, et beaucoup moins du niveau de bien-être, notamment relationnel des élèves. Pourtant, ce qui ressort des évaluations des résultats hexagonaux sur ce thème est à la fois assez éloquent et terriblement inquiétant :

En France, environ 24 % des filles et 20 % des garçons ont déclaré avoir été victimes d’actes de harcèlement au moins quelques fois par mois, ce qui représente une hausse de 2 points par rapport au niveau de 2018, qui était alors déjà en hausse de 2 points par rapport à 2015.

Une aggravation, donc, alors même qu’on nous expliquait en 2018 que les choses allaient rapidement évoluer grâce au dispositif pHare et à la méthode qu’il mettait presque exclusivement en avant : celle de la préoccupation partagée.

  • On ne saurait nous expliquer que cette hausse alarmante provient du fait, qui serait très positif, que la parole s’est libérée, tant cette allégation est fausse en ce qui concerne les collégiens et lycéens, elle ne s’est en réalité libérée que du côté des adultes, qui, en effet, en parlent beaucoup ; les élèves du secondaire, quant à eux, ne souhaitent pas écrire qu’ils sont harcelés dans le cadre de questionnaires posés dans l’enceinte scolaire, car ils ont peur de la façon dont la communauté adulte pourrait se saisir de cet aveu, même si on leur promet la confidentialité.  Ils ont honte également, pour une grande majorité d’entre eux,  de subir ce terrible fléau et n’ont donc pas envie de le verbaliser. Double émotion, double biais qui fait penser que bien au contraire, les chiffres sont largement sous-estimés et qu’ils le sont sans doute, malheureusement de plus en plus, tant l’omerta en la matière semble être la règle depuis plusieurs mois maintenant.
  • On ne saurait non plus justifier de cette dégradation du bien-être relationnel des élèves en arguant du fait que les équipes éducatives ne se seraient pas emparées de la méthode préconisée depuis bientôt 4 ans par l’Institution, elles l’ont fait avec sérieux dans une très grande majorité d’établissements.

Ces chiffres sont plutôt sans doute le signe, comme nous l’écrivons et le disons depuis bientôt quinze ans, que le fléau du harcèlement n’est pas analysé de façon rigoureuse, ce qui donne lieu à des solutions inadéquates, qui non seulement ne résolvent pas le problème, mais bien au contraire l’alimentent et l’aggravent.

Il nous semble que l’analyse systémique de ce fléau qui permet de se poser les questions idoines -et notamment, la principale : qui souffre le plus de cette situation ?- montre clairement une première erreur d’analyse de l’Institution en amont. Car c’est quand on souffre d’une situation qu’on est prêt à mettre des choses en place pour qu’elle cesse. Quand on n’en souffre pas, on n’a aucune raison de se mobiliser.

Or ceux qui souffrent le plus sont sans conteste l’enfant harcelé et sa famille.

Ce n’est pas le harceleur, qui se sécurise en harcelant, dans le but de ne pas être harcelé lui-même. Ce qui est à la fois très cynique et très pragmatique de sa part.

Ce n’est pas le harceleur, parce qu’aussi, et cela est beaucoup trop peu dit, ce dernier éprouve un intense plaisir au moment où il harcèle. Un plaisir lié à l’emprise, à la toute-puissance, à la perception qu’il a de l’impact considérable qu’il a sur le destin quotidien d’un autre être humain, plaisir décuplé par la présence d’une meute ricanante. On peut le déplorer, s’en indigner, et ce à très juste titre, mais cette donnée doit faire partie de la réflexion, sinon, elle nous amène à tenter de faire changer de comportement un individu, qui fondamentalement, n’en éprouve pas la moindre envie. Donc vainement. Ce qu’il est précisément demandé de faire aux équipes éducatives depuis trois ans maintenant. Dans la très grande majorité des cas, assez logiquement, l’élève harceleur fera semblant de se soumettre à l’injonction de préoccupation de l’adulte, pour éviter moralisation et sanction de sa part, et redoublera de créativité pour continuer à éprouver ce plaisir singulier, en mettant tout en oeuvre pour passer désormais en dessous des radars des adultes[2], plaçant l’enfant harcelé dans une situation encore plus douloureuse qu’avant. C’est ainsi que non seulement les faits de harcèlement augmentent, et en plus,  ce qui est dramatique, de façon beaucoup plus souterraine qu’avant.

S’appuyer enfin sur les compétences des enfants harcelés, les aider à faire changer l’inconfort de côté, les aider à rendre au harceleur son harcèlement désagréable pour que ce fameux plaisir disparaisse, comme nous le faisons au quotidien dans nos cabinets, avec une diminution significative de la souffrance des enfants harcelés dans plus de 80% des cas[3], devrait, au regard de ses chiffres éloquents, être un axe de réflexion à la fois urgent et prioritaire de l’Éducation Nationale.

Emmanuelle PIQUET


[1] https://www.oecd.org/pisa/publications/Countrynote_FRA_French.pdf

[2] Ce qui explique sans doute, la recrudescence, également pointée dans le rapport Pisa, des faits d’ostracisme et de mise à l’écart que l’on a beaucoup plus de mal à identifier et à sanctionner : on ne saurait sanctionner un enfant qui ne souhaite pas interagir avec un autre

[3] https://a180degres.com/wp-content/uploads/2023/06/TF_231_0073-1.pdf