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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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De la faute « à pas de chance » à la roue du hamster

Sous le titre caustique « Les troubles dys : une fatalité d’opérette ? », David VOEGTLIN, membre du SNALC de Strasbourg, (s’)interroge sur l’importante multiplicité des diagnostics de dyslexie, dont il affirme qu’ils sont une trop facile explication – en forme d’ « excuse confortable » – à l’échec scolaire.

L’auteur relie cette épidémie à l’augmentation importante (72% en 15 ans) du nombre d’orthophonistes lesquels affirment ne rencontrer que très peu de « vrais » dyslexiques parmi le flot de « mal-lisants » – ainsi que l’écrit en 2011 Colette OZILOU[1], largement citée par D. VOEGTLIN. Ce dernier en appelle aussi aux travaux de Sandrine GARCIA et se réfère notamment à son essai « À l’école des dyslexiques. Naturaliser ou combattre l’échec scolaire ? » (2013 ) dont il retient que « le diagnostic de dyslexie s’applique le plus souvent à des élèves dont les difficultés de lecture trouvent leur origine dans les modalités d’apprentissage auxquelles ils ont été confrontés, et non pas dans « des troubles spécifiques de l’apprentissage de la lecture » attribués à des déficits propres à l’enfant ».

Si le lien que D. VOEGTLIN fait, entre la déferlante de diagnostics de dyslexie et les choix méthodologiques d’apprentissage de la lecture – et particulièrement le reliquat de la fameuse « méthode globale » qui s’attarde encore dans les classes de CP – pourrait provoquer une autre discussion, il nous semble que le plus intéressant n’est pas là.  David VOEGTLIN et les auteurs qu’ils citent rejoignent pleinement dans leur constat ce que Emmanuelle PIQUET et Alessandro ÉLIA, expliquent dans Nos enfants sous microscope[2], ouvrage paru en 2021 et qui décortique la manière dont les outils du modèle systémique de Palo Alto peuvent apaiser les souffrances liées aux diagnostics de « handicaps » définis dans la sphère scolaire. L‘affaire est interactionnelle

Avant tout, D. VOEGTLIN suit ces deux spécialistes et tous affirment aussi nettement que possible, qu’il ne s’agit nullement de nier l’existence du trouble dyslexique mais d’observer plutôt ce qui se passe quand on peut raisonnablement douter de l’étiologie médicale du trouble. Ils ne sont pas les seuls. Les rédacteurs de la brochure qui accompagne les programmes de CP précisent, dans ce document destiné aux enseignants, qu’il existe un symptôme permettant aux spécialistes de discriminer les vrais dyslexies : « Pour les dyslexiques, la littérature a clairement montré grâce à des études longitudinales qu’ils présentaient des troubles phonologiques avant l’apprentissage de la lecture. » Ce n’est que bien rarement le cas pour les jeunes patients dont les parents sont reçus par les psychopraticiens des centres Chagrin scolaire, fondés par Emmanuelle Piquet. Car ce sont les parents qui sont vus en séance pour les problématiques d’apprentissage, plutôt que les enfants eux-mêmes qui, majoritairement, ne souffrent pas de la situation (eux) et n’ont le plus souvent rien demandé. Il est même fréquent qu’ils préfèreraient ne pas perdre davantage de temps sur le sujet de l’école. Ils y sont suffisamment scrutés parce qu’ils « ne savent pas lire à la Toussaint » (c’est un repère de l’année de CP, initialement statistique, qui est devenu une norme gravée dans un marbre dont la dureté suscite beaucoup de souffrances, principalement chez les adultes),  ou parce qu’ils n’aiment pas la chose écrite – ni en lecture ni en production – ou renâclent à faire leurs devoirs, en un mot : parce qu’ils ne manifestent qu’un très maigre intérêt à la chose scolaire et ne s’y appliquent pas, en tous les cas, pas comme leurs observateurs le souhaiteraient.  On pourrait trouver d’autres logiques à cet état de fait, à commencer par l’ennui que certains éprouvent dans les périodes d’apprentissages telles qu’elles sont proposées par l’école. Mais, la tendance est plutôt de suspecter l’indigence des capacités intrinsèques de l’enfant plutôt que la manière d’enseigner, qu’on se gardera ici de critiquer : après tout, les pédagogues en action et en réflexion sont pour leur majorité d’anciens bons élèves qui aimaient l’école enfants et l’aiment toujours (le plus souvent), qui ont un vif goût pour ce qu’ils enseignent et qui parfois, ont du mal à envisager l’hypothèse que d’autres n’y trouvent aucun intérêt ou presque, ce qu’on ne saurait réprouver ou moquer car c’est tout de même vraiment passionnant, ce que l’école cherche à transmettre ! C’est ainsi qu’on en vient, en toute logique, à déduire des mauvais résultats – mauvais par rapport aux attentes des adultes (professeurs, parents, institution) – qu’ils ne sont dus qu’à un « défaut » de l’élève : défaut de compréhension ou d’aptitude aux apprentissages, ou à une déficience des parents, à qui on demande une forte implication, par exemple, qu’ils l’aident à faire ses devoirs sans quoi, il ne réussira pas très bien. On comprend aisément qu’entre accepter des épithètes peu amènes (paresseux, velléitaire, etc.) voire culpabilisantes pour la famille, et admettre un diagnostic qui permettra d’obtenir une reconnaissance de la spécificité voire de l’unicité de l’enfant, ses parents sont souvent soulagés qu’on lui reconnaisse un handicap. Comme le dit Emmanuelle Piquet, le diagnostic est un apaisement : il dit que le problème est indépendant des protagonistes. 

Or, ce diagnostic, qui renvoie nécessairement à une caractéristique intrinsèque, interdit tout changement. C’est un point de non-retour, l’alpha et l’oméga de l’impossibilité de travailler en autonomie et d’obtenir des résultats suffisants pour l’école. C’est aussi, d’un point de vue épistémologique, une vision linéaire et non circulaire de la situation, non systémique mais « cartésienne » – ce qui est en France le synonyme absolument contestable d’une approche sérieuse pour ne pas dire « scientifique », au sens bien mal compris du terme qui signifierait que tout débat est clos. La vision linéaire pose une relation de cause à effet : c’est parce qu’il est dyslexique que l’élève a de mauvais résultats. La vision systémique permet de s’intéresser à la causalité circulaire : parce que l’élève a de mauvais résultats, on recherche (et on trouve) un trouble qui explique cela et déclenche des aides et soutiens qui à leur tour empêchent une mise en autonomie dans les apprentissages puisqu’il est décrété que l’enfant n’en est pas capable. Voilà comment se met en place un cercle vicieux, qui s’autoalimente au grand désarroi de familles qui s’y trouvent entraînées comme  hamster dans une roue dont il ne saurait plus descendre. Ce message, sans autre intention qu’une attention bienveillante, est en outre extrêmement délétère, de quelque manière qu’il est formulé : comment avoir confiance en soi si les adultes de référence (parents, professionnels) affirment cette incapacité ?

Ce qui dysfonctionne dans les problématiques d’apprentissage, c’est précisément la relation, qu’elle soit nouée entre deux entités (adultes et enfants) ou à l’intérieur d’une seule (combien d’élèves diagnostiqués se disent « nuls » avec fatalisme ?). Cela n’a rien à voir avec les qualités des éléments, mais tout avec les spécificités de l’interaction en jeu.  Au décours des vignettes cliniques qui illustrent Nos Enfants sous microscope, Emmanuelle Piquet et Alessandro Élia montrent comment aider des élèves pour qui les apprentissages sont un lieu problématique, en faisant autre chose ou autrement, avec les outils du modèle de Palo Alto. Aider signifie souvent modifier la manière de voir les choses ou d’échanger avec quelqu’un (un enfant, un parent, un prof, soi-même…), parfois renoncer à atteindre ce qui ne le sera jamais.

Cette approche relationnelle vaut pour tous les enfants à qui on colle une étiquette d’handicapé quand ils n’ont pas d’autres caractéristique que de ne pas être – ici, maintenant et pour l’instant – conformes aux attentes d’un système. Et ce qui est remarquable, c’est que cela vaut aussi pour tous ceux qui auraient un vrai dys, que l’on peut aussi choisir de considérer pour ce qu’ils font et non pas pour ce qu’ils sont.

Muriel MARTIN-CHABERT


[1] Colette Ouzilou Dyslexie une vraie-fausse épidémie,  Presses de la Renaissance, 2001. p°15

[2] Emmanuelle Piquet et Alessandro Élia, Nos enfants sous microscope, Payot, 2021