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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Avoir confiance en soi, donner confiance en soi.

En thérapie brève c’est une demande fréquente, qu’il s’agisse du motif de la consultation ou d’un objectif secondaire.  Les personnes qui annoncent manquer de cette enviable « confiance en soi » ou qui souhaitent que leurs enfants l’acquièrent, nous disent parfois s’être inscrits à des cours de théâtre ou à un dojo d’arts martiaux. En acceptant de s’exposer au public ou en apprenant une technique de combat rapproché.

On peut, en effet, s’exercer à l’affrontement d’un adversaire redoutable quel qu’il soit, un autre humain ou sa propre peur.

Comment ne pas y revenir après la défaite du judoka Teddy Riner, invaincu pendant presque 10 ans ?

Le lendemain de cette contre-performance, interrogée par un journaliste, une autre sportive soulignait combien ne pas échouer pendant longtemps soumet à une pression forte, peut-être supérieure à celle que l’on subit avant de réussir. N’est-ce pas logique ? Lorsqu’un sommet est atteint, le seul mouvement possible est la descente, qui décevra le champion, son entourage et son public empêché de l’admirer encore ; l’alternative à ce recul, c’est un maintien dans la position de premier, maintien attendu comme une évidence et dont la difficulté n’est pas toujours évaluée justement. Le sportif est soumis à une injonction de réussite, ce que connaissent aussi les bons élèves ou les professionnels remarquables dans leur domaine.

Et c’est là que réside le problème : dans l’injonction. Il est intimé l’ordre aux uns et aux autres soit de réussir soit de ne pas échouer. L’enjeu, dans tous les cas est l’estime, la sienne propre ou celle des autres. Il y a tant à perdre et si douloureusement.

Si la dévalorisation systématique de l’entourage peut creuser la confiance en soi, l’exact opposé n’est pas forcément plus efficace…

L’enfer des bonnes intentions : prise en charge et compliments.

Qui manque de confiance en soi dispose paradoxalement très souvent d’un entourage bienveillant, qui, pour « l’aider » :

– se place très fréquemment, afin que les coups ne portent pas ou moins vivement, en bouclier entre elle ou lui et les situations délicates (ou les personnes impressionnantes) qu’il devrait affronter. Pour lui éviter de perdre confiance.

– Et qui, également, félicite fréquemment à la moindre des réussites ou valorise un peu trop de minuscules progrès. Pour générer de la confiance.

 Ainsi que le précise Emmanuelle Piquet : «Il y a une illusion à penser que l’on peut créer de la confiance en soi, pour ensuite l’insérer à l’intérieur des enfants… comme s’ils étaient un réservoir à remplir. La confiance est une création intime et involontaire, alimentée par le seul fait que son propre créateur l’utilise pour agir. Pour atteindre cet objectif illusoire, l’artifice du compliment à tout-va, voire de l’extase grandiloquente est souvent de mise. Cette dernière fait plaisir et du bien à la relation, mais n’est pas créatrice de confiance en soi. Car c’est en tombant et se relevant que l’on prend confiance.  En se relevant parce qu’on a puisé dans ses propres ressources. »

Dans ses propres ressources, et non dans celles de qui le prend en charge, car, cette manière de se placer entre son enfant et les situations risquées ou de le valoriser plus que de raison, relève de la prise en charge, qui toujours revient à décréter – implicitement ou non – à quel point on suppose que celui ou celle que l’on protège ainsi est incapable de s’en sortir seul et ne sera jamais valorisé par l’extérieur. Ainsi, par pure bonté, l’entourage contribue à creuser l’abîme qui s’ouvre sous les pieds de qui manque d’assurance. Car, comment se faire confiance si ceux qui vous entourent doutent à ce point de vous qu’ils ressentent le besoin de vous protéger ou de survaloriser ce qui ne le mérite pas ? Et pourquoi même essayer ce qui nous est de facto présenté comme hors de portée ou qui sera valorisé un peu artificiellement ? Un échec annoncé comme une certitude devient volontiers une prophétie auto-réalisatrice. Tout comme une réussite faussement valorisée prépare mal au monde. Il est difficile d’y renoncer, quand on est un parent inquiet : si son enfant tombe après que l’on a annoncé le risque que cela se produise, on peut aussi croire que prévenir était adapté… et le claironner sur l’air de : « Je te l’avais bien dit ». Mais s’il ne tombe pas parce qu’il a, métaphoriquement, gardé les roulettes de son petit vélo, et qu’on l’applaudit frénétiquement, on tombe dans le même piège et on provoque exactement l’inverse de ce que l’on vise : une confiance en soi moindre chez notre jeune cycliste.

Mais on peut aussi donner confiance à son enfant en lui faisant confiance (ce qui est un mouvement logique, si l’on veut bien s’arrêter au sens des mots), confiance pour qu’il décide si le risque vaut d’être pris. Ce qui signifie aussi, pour le parent, se préparer à sécher quelques larmes ou essuyer un genou écorché, sans pour autant souligner qu’on avait prévu l’échec, s’il advient. Et s’il se gargarise de n’être pas tombé, lui rappeler affectueusement que la prochaine étape, c’est avec une seule roulette : parce qu’on l’oublie souvent, l’exigence est aussi créatrice de confiance en soi. Si l’on n’exige que peu de moi, c’est que j’ai peu de valeur.

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L’enfer des bonnes intentions : le but conscient

Le champion, le dieu du stade, la bête à concours ou le professionnel au sommet de sa réussite, se trouve pour sa part hissé sur un piédestal de plus en plus élevé et de plus en plus étroit, dont ses supporters n’imaginent pas un instant qu’il pourrait choir, alors même qu’il serait logique que cela arrive de temps à autre. Cela se produira, quoi qu’il arrive, quand la ou le virtuose n’aura plus le niveau, l’énergie ou la force nécessaire pour s’y maintenir. Pour autant, la chute est vue par les admirateurs comme inconcevable, et ces personnes de haut niveau peuvent alors se dire ou se laisser dire : « Il n’est pas imaginable d’échouer à cet examen / de rater ce match / de ne pas atteindre cet objectif ». Ce qu’on pourrait résumer par « Tout sauf ça », ou dans une version qui ferait de la victoire une condition sine qua non à une existence possible, « ça et rien d’autre ». Ces deux pensées, lorsqu’elles conditionnent toute la vie de ceux qui les entretiennent, forment ce que les systémiciens de l’École de Palo Alto appelle un but conscient. Un but conscient diffère d’un objectif en ce que l’on peut envisager l’échec d’un objectif.

   Ce qui s’avère pour Teddy Riner ; le champion s’est dit comme soulagé par sa défaite : « Maintenant, je suis déchargé d’une pression, parce que compter les combats sans défaite, c’est relou. Ça fait du bien et maintenant, c’est cap sur Tokyo! ». La pression levée, l’enthousiasme et l’appétit de vaincre semblent décuplés  : les prochains Jeux Olympiques sont d’autant plus attirants qu’il est désormais bien prouvé qu’aucune médaille n’est gagnée par avance. Il serait logique de s’en réjouir : la victoire n’est belle que si elle n’est pas donnée. 

Avoir confiance en soi, ce serait s’engager dans son action en sachant que la réussite ou l’échec sont potentiels, mais qu’aucun n’est certain. Donner à quelqu’un confiance en soi reviendrait à dire : « Je ne sais pas si tu parviendras à faire telle ou telle chose, mais rien ne t’empêche d’essayer, si tu penses que c’est bien pour toi, sans garantie que cela se passe comme tu le souhaites ; si tu me le demandes, voici les risques que je sais possibles. Fais ce que tu penses le plus adapté ; quoi qu’il en soit,  je serai là pour t’applaudir, ou te consoler, si tu en as besoin.»  Car, en aucune manière,  il ne s’agit alors de l’abandonner à son désarroi : une fois encore, nous pourrions dire qu’il importe d’être à côté de son enfant – comme de tous ceux qu’on aime, qu’on estime – mais pas entre le monde et eux.

MMC

Merci à Emmanuelle Piquet pour sa relecture et les compléments indispensables qu’elle a bien voulu apporter à cet article.