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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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L’enquête de novembre 2023 sur le harcèlement en milieu scolaire : une mascarade

Des chiffres issus de questions mal posées,
des résultats analysés de façon superficielle,
comment pourrait-on faire confiance aux décisions qui y feront référence ?

l’enquête estime que 19% des écoliers « doivent faire l’objet d’une vigilance accrue face au risque de harcèlement », contre 6% des collégiens et 5% des lycéens.

Ces chiffres et  la conclusion qu’ils induisent (c’est en primaire que le harcèlement fait le plus de ravages) sont très inexacts parce qu’ils ne prennent pas en compte une réalité prégnante et qui devrait tous sévèrement nous alerter :

Contrairement aux écoliers, les collégiens ne veulent pas parler de leur cas de harcèlement dans l’enceinte scolaire

Ceux que nous avons reçus dans nos cabinets depuis l’enquête nous ont quasiment tous dit ne pas avoir répondu la vérité à ce sujet, rendant les données sur lesquelles s’appuie le Ministère, totalement caduques.

  • D’abord, on l’oublie souvent, parce qu’ils ont honte d’être harcelés (beaucoup plus qu’en primaire) et qu’ils n’ont pas envie de le verbaliser, c’est très douloureux. C’est ce qu’on appelle le biais de désirabilité et qui est infiniment présent au collège, où ce qui compte avant tout, c’est la réputation. Cette dernière peut à tout instant, si elle est mauvaise, et notamment si elle met en lumière une fragilité, une vulnérabilité, déclencher de l’exclusion et/ou du harcèlement. Il est infiniment dangereux donc, de l’afficher dans l’enceinte scolaire, serait-ce dans un questionnaire prétendument anonyme, ce à quoi ils ne croient pas.
  • Ensuite, on l’oublie encore plus, et c’est pourtant un fait essentiel, parce qu’ils sont très inquiets de ce que les adultes pourraient faire de cet aveu. Dans sa thèse publiée aux PUF, à L’école des mauvaises réputations, Margot Déage[1] met en exergue ce chiffre éloquent et glaçant : seuls 38 % des élèves pensent que la situation s’améliore ou se règle quand un adulte intervient pour harcèlement.

Cela signifie que 62% des collégiens pensent que l’intervention des adultes pour régler une situation de harcèlement est vaine voire aggravante.

Et ont donc d’excellentes raisons de ne pas vouloir l’écrire dans un questionnaire dont ces adultes, toujours animés pourtant des meilleures intentions, pourraient se servir pour intervenir à leur place et parfois sans leur accord.

C’est bien ce chiffre-là qu’il nous faudrait analyser.

C’est bien ce chiffre-là qui nous montre de façon éclatante que nous faisons fausse route, et même sortie de route sur ce sujet générateur de tant de souffrances à court et long terme pour des enfants et les adultes qu’ils vont devenir.

Qu’avons-nous à ce point raté pour que les collégiens n’aient ainsi plus du tout confiance dans les adultes de leur entourage ?

Comment faire pour leur redonner confiance en eux, mais aussi en l’institution sur ce sujet ?

C’est le sens de notre travail depuis plus de quinze ans maintenant, issu de l’accompagnement de plus de 500 enfants et adolescents par an, étayé en amont et en aval[2], par des chiffres collectés hors enceinte scolaire. Et toujours cette sensation de plus en plus douloureuse, de crier dans le désert…

Y aura-t-il un jour un ou une Ministre suffisamment préoccupé•e par ce sujet pour écouter ce que disent réellement les élèves ?


[1] https://certop.cnrs.fr/ouvrage-a-lecole-des-mauvaises-reputations-margot-deage/

[2] https://a180degres.com/wp-content/uploads/2023/06/TF_231_0073-1.pdf