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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Allez, les filles !

Le 8 mars est la journée internationale des droits de la femme et toutes les informations que contient cette phrase sont problématiques.

On ne s’attardera pas sur le fait que le 8 mars n’est qu’une journée sur 365, une seule pour « la femme » à l’instar de ce qui est réservé au pangolin, animal en voie d’extinction célébré le 18 février en même temps que le droit de grève ; une journée unique comme celle consacré au lupus, maladie rare et invalidante (le 10 mai), unique comme le 18 septembre au cours de laquelle on célèbre le bambou, herbe remarquable en ce qu’elle participe à la préservation de la biodiversité. C’est le fait même qu’il faille consacrer une période de l’année aux droits de la femme, quand bien même ce serait un semestre, qui devrait interroger. L’intitulé de cette célébration dit que la question de l’égalité homme-femme se pose encore dans le monde, notamment en France, ce que nul n’ignore. Malheureusement. 

 « Le fait d’être né•e fille ou garçon, ça ne donne pas forcément lieu, au quotidien, à une vie identique », si on y réfléchit un peu, comme le suggère Emmanuelle Piquet dans les premières lignes de « Allez les filles ! [1]», ouvrage paru en 2018, initialement sous le titre « Je me défends du sexisme » et illustré par Lisa Mandel, comme son pendant éditorial, « Je me défends du harcèlement ». Ce n’est pas ici qu’on minimisera l’étendue du harcèlement scolaire ni l’impact négatif qu’il peut avoir sur la vie de celles et ceux qui le subissent. Ce fléau concerne environ 10% des élèves au collège et les conséquences qu’il peut avoir sur la vie des victimes sont graves. Or, comme on peut le lire sur le site Standup[2], un sondage commandé par L’Oréal Paris et Ipsos en 2021 révèle que 80% des femmes interrogées dans 15 pays – donc environ 40% de leur population – disent avoir subi, dans un lieu public, au moins une des situations de harcèlement sexuel décrites par l’étude :  des regards appuyés aux descriptions de nature pornographique, en passant par des pressions pour donner un rendez-vous ou son numéro de téléphone, des faits d’exhibitionnisme, etc.  

Harcèlement de rue

On connaît la définition du harcèlement, dont les manifestations tant verbales que gestuelles sont variées, mais qui sont toujours répétées par la même personne ou le même groupe. L’équipe de Chagrin scolaire sait élaborer, avec et pour le jeune harcelé, une riposte pour chaque situation, s’appuyant sur la redondance et la relative monotonie des faits de harcèlement nés dans la cour de l’école, de la part d’un harceleur clairement identifié. Mais, dans la rue, si les filles et les femmes subissent des attaques réitérées, souvent similaires dans leur forme (regards, mots, gestes à connotation sexuelle) et toujours dans leur intention, qui pourrait être la réification, leurs auteurs ne sont jamais les mêmes. Ce qui est commun à ces harceleurs est le système dans lequel ils évoluent : notre société, notre imprégnation culturelle, qui autorisent la moitié de ses membres à jauger et juger l’autre moitié comme l’objet apprécié/déprécié d’une convoitise ou d’une volonté d’affirmer son pouvoir, sa supériorité. C’est l’homme du métro, le garçon installé en terrasse, le passant qui vous croise ou vous suit. Ou pas. Il est vrai que dans certains cas, on peut reconnaître une certaine maladresse de la part d’hommes qui disent, parfois, ne vouloir qu’être séducteurs. Emmanuelle Piquet écrit : « Pour les aider à faire la différence, on peut conseiller à ces garçons […] de se demander si, pour faire connaissance, ils tiendraient des propos similaires à un inconnu croisé dans la rue. Par exemple : ”Hé damoiseau, alors comme ça, on se promène ?”, ou ”Tu devrais sourire, damoiseau, tu serais plus joli”, ou encore ”Salut, damoiseau, t’es super bon, on va quelque part ?”… La réponse vient vite : non, les garçons ne se font pas des copains ainsi. »

La riposte dans le cas du harcèlement de rue n’est pas chose facile pour celles qui redoutent que la situation ne s’envenime si elles répondent. « Or, dans un certain nombre de cas, c’est le silence (vécu comme un mépris intolérable pour eux et leur désir d’entrer en contact avec la jeune fille) qui déclenche chez le(s) harceleur(s) soit une insistance, soit une insulte directe moins, cachée » écrit Emmanuelle Piquet qui en déduit que « Le virage à 180 degrés consiste donc, souvent, à rétorquer quelque chose qui montre son absence de peur, et aussi de soumission, au(x) harceleur(s). Il s’agit de les mettre dans une situation gênante, inconfortable, qui le(s) fasse se sentir petit(s) et surtout qui casse l’engrenage. » Chacun pourra faire son profit de la page suivante[3], intitulée « Entraîne-toi », où il est notamment suggéré de répondre à un « Salut, ça va ? » par un imparable : « Pas trop, non, j’ai super envie de faire caca. Salut. »

Misogynie intégrée

Le harcèlement de rue est une des manifestations du sexisme, ce n’est pas la seule. On peut tenter de faire un décompte des lieux et moments où il est fortement attendu des femmes et des filles qu’elles ne se comportent pas comme des garçons, lesquels sont priés, sous peine de déchoir de leur statut dominant, de ne pas se comporter comme des fillasses, pour utiliser l’un des mots péjoratifs réservés à la moitié de l’humanité.  D’ailleurs, ce terme n’a pas d’antonyme.

Dans « Allez les filles ! », Emmanuelle Piquet, pour aider les jeunes filles qui se sont confiées à elle pour trouver de l’aide, revient sur nombre d’injonctions qui sont faites aux femmes de tous âges, à propos de leur corps (trop gros, trop plat, trop couvert, trop révélé, trop poilu, etc.), de leur vocabulaire s’il n’est pas en toutes occasions châtié ou de leurs centres d’intérêt s’ils ne sont pas considérés comme « féminins ».  Toutes subissent une construction sociale et culturelle qui génère et entretient une misogynie qui n’est pas toujours perceptible tant elle est ordinaire et admise (par nombre de femmes aussi, parfois bien malgré elles), une misogynie intégrée. Il faut sans doute rattacher la discrétion qui entoure la diffusion de cet ouvrage à cet état de fait. Or, il y a deux raison de lire « Allez les filles ! ». La première est d’être une femme ou une fille : ce livre parle de vous. La seconde est d’aimer une femme ou une fille : ce livre parle d’elle.


[1] Emmanuelle Piquet, Allez les filles !, Albin Michel Jeunesse (2018)

[2] https://www.standup-international.com/fr/fr/facts?&wiz_medium=cpc&wiz_source=google&wiz_campaign=oap_goog_ao_othr__gene_search_text_eg_fr_standup_roes&gclid=Cj0KCQiAxbefBhDfARIsAL4XLRqVdOSogCRucuoilcjY4DNRW5Xv3PfPho6iLxwtknRAVx2ZXt2QgGsaApgGEALw_wcB&gclsrc=aw.ds

[3] ibid, p. 69

Muriel MARTIN-CHABERT