BLOG


À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

Retour
Cette vague phobique qui monte
S’il n’y en pas de quatrième, au sens sanitaire du terme, alors une vague bien différente, en forme de courant sous-marin pourrait bien faucher de plein fouet les familles et les établissements scolaires à la rentrée de septembre. Il nous faut y réfléchir pour tenter d’en atténuer les effets. Et l’Ecole de Palo Alto peut nous y aider.

C’est que le confinement a légitimé de façon sociétale un certain nombre d’évitements, dont celui de la scolarité présentielle. Il a légitimé aussi celui qui permet de dissimuler son visage au regard des autres et qui a ravi tant de collégiens et de lycéens complexés (certains adultes aussi). Mais qui les fait, dans un effet boomerang, tellement angoisser pour certains d’entre eux depuis 48 heures, (que le port du masque n’est plus obligatoire) qu’ils en viennent à préférer rester chez eux.

Cette tolérance obligatoire a montré aux écoliers, collégiens, lycéens et étudiants, que la scolarité telle qu’imposée officiellement n’était somme toute qu’une modalité parmi d’autres  puisque pour certains, les enseignements pouvaient aussi se faire en distanciel, sans qu’ils en pâtissent tellement, notamment en matière d‘évaluations.

Ce qui est d’ailleurs, une réalité. Nombre de familles sont très satisfaites de l’école à la maison, qu’il s’agisse des parents ou des enfants et certains de ces derniers gèrent le CNED en toute autonomie.

Mais ce qui préside généralement à cette décision est aussi une perception parentale de ce qu’est une « bonne » instruction, pas seulement une façon d’éviter à l’enfant une angoisse qui le paralyse. Par ailleurs, le choix est fait dans ce cas-là, il est organisé, il est assumé et chacun peut s’en emparer de façon sereine, il n’y a pas d’oscillation quotidienne entre une exhortation à aller à l’école et une acceptation du fait que l’enfant n’y aille pas.

Dans les centres A180degrés/Chagrin Scolaire, nous pressentions depuis 3 ou 4 ans cet accompagnement de l’évitement scolaire de certains élèves par des parents désemparés devant la souffrance de leur enfant et oscillant désespérément entre « tu dois aller à l’école » et « mais si c’est trop difficile pour toi, alors tu peux rester à la maison » qui laissait finalement la peur décider et très logiquement l’évitement prospérer. Car lorsqu’un enfant a en même temps, dans cette ambivalence que nous rencontrons très souvent en consultation, un peu envie d’aller à l’école et peur ou très peur d’y aller et qu’implicitement, le choix lui est laissé, alors c’est très logiquement sa peur qui lui est la plus audible.

C’est bien ce recours à l’évitement de la peur scolaire que le confinement a considérablement amplifié.

Or, l’Ecole de Palo Alto nous apprend entre autres que le fait d’éviter de ressentir sa peur, d’éviter de se confronter aux situations qui la génèrent, la fait se cabrer et se gonfler tant et plus comme si, vexée de ne pas être écoutée, elle se faisait encore plus ressentir, provoquant ainsi l’exact inverse de ce que l’évitement visait. C’est que l’angoisse crée l’évitement qui crée l’angoisse qui crée l’évitement dans un cercle vicieux délétère, comme si chaque fuite devant le danger dilatait la peur jusqu’à la rendre totalement submergeante, laissant finalement l’enfant ou l’adolescent saisi d’effroi devant tout autre endroit que sa chambre, ou celle d’un hôpital.

C’est qu’une peur qu’on évite se transforme en angoisse.

La bonne nouvelle, c’est qu’une peur qu’on affronte se transforme en courage.

Salomé en a fait l’expérience.

Salomé, qui est en 5ème dans un collège qu’elle aime bien, entourée de beaucoup d’ami.es (« je suis assez populaire » glisse-t-elle avec une fierté rigolarde),  nous dit lors de la toute première séance qu’elle a envie de retourner au collège, mais que c’est trop difficile. Depuis plusieurs semaines que le collège a repris,  Salomé n’y a pas remis les pieds.

«  Je prépare mes affaires la veille, je me lève au moment où le réveil sonne, je m’habille, et là, au moment de franchir la porte de la maison, je ne peux pas. Je suis comme bloquée, mon corps n’avance pas et j’ai envie de vomir. Je vais vomir, de la bile. Mais ça ne me débloque pas. Maman me donne un décontractant, mais ça ne suffit pas à me débloquer. Mon autre maman me dit qu’il va falloir à un moment donné que je prenne sur moi, mais ça ne me débloque pas ; tous les soirs, je me dis « Salomé, demain tu y vas, ça a assez duré », mais ça ne me débloque pas. Pourtant, j’ai envie d’y aller, de revoir mes copains, même certains profs en vrai ( !). Mais c’est impossible.

– C’est qu’il y a quelque chose qui empêche. Il faut que nous trouvions ce qui empêche pour essayer de comprendre. Tu sors des fois en fin d’après-midi ou le week-end ?

– Plus trop, non, parfois, je vais en vélo au City Park, mais de moins en moins. Ca me fait un peu la même chose que l’école depuis plusieurs jours.

– C’est nul, du coup. Ca te pourrit la vie, cette histoire. Et du coup, je me dis, tiens, imaginons que tu ailles au City Park cet après-midi, c’est juste en théorie, on est bien d’accord, qu’est ce qui pourrait se passer d’horriblement épouvantable ?

– Je sais pas…

– Ce serait bien que tu y réfléchisses pour la prochaine fois, que tu imagines en fait tout ce qui pourrait se passer d’horrible si tu y allais. Tiens, et pendant qu’on y est, fais pareil pour le collège. »

En deuxième séance, la thérapeute repose la question à Salomé.

–  Ben c’est à dire, c’est un peu débile, mais en ce moment, j’ai une démarche un peu de victime, tu vois ?

–  Vaguement, disons, tu peux me montrer ?

Salomé s’exécute d’assez mauvaise grâce et la thérapeute prend un air un peu navré.

« Ah oui, en effet, ça fait un peu genre, fragile, comme démarche, dit-elle, alors même qu’elle ne voit rien de spécial, Salomé marche tout à fait normalement.

-C’est ça, et donc, j’ai hyper peur que les autres s’en rendent compte et se foutent de ma gueule.

-Tu m’étonnes, c’est ultra risqué effectivement. Il y a vraiment une forte probabilité que ça arrive, ça fait trop peur. En plus, ils pourraient te filmer, te mettre sur Tik Tok, tu n’aurais plus personne qui accepterait de te parler au collège. Ce serait horrible, franchement, je comprends que tu n’aies envie d’aller ni au City park, ni au collège.

-Oui, ce serait vraiment horrible.

-Oui, répond la thérapeute qui lutte contre sa propre envie d’accompagner l’adorable Salomé dans son évitement en lui disant que sa démarche va très bien et qu’elle n’a aucune raison d’avoir peur et que ses copains resteront ses copains pour la vie, au City Park comme au collège.

Elle fait bien de lutter contre cette envie bienveillante (en tout cas à très court-terme) car elle voit à l’attitude de sa jeune patiente, qu’elle a commencé à affronter sa peur, en l’envisageant concrètement grâce à son effroyable description, et que cela l’apaise déjà. Elle lui propose donc de s’y confronter tous les jours pendant 15 minutes pour apprivoiser son angoisse et lui faire une place. Pour qu’elle arrête de nous prendre la tête, dit-elle à Salomé.

A la troisième séance, la thérapeute va tenter de trouver un moyen de faire passer Salomé à l’action.

Elle peut le faire parce que Salomé lui dit que sa peur est passée de 10 à 4, mais qu’elle ne parvient toujours pas à sortir de chez elle à pied. Un tout petit peu en vélo (car on voit moins sa démarche de victime, selon elle, ce qui est donc une autre forme d‘évitement).

« Je me dis qu’il va falloir qu’on trouve une explication pour que tu puisses marcher super bizarrement en toute tranquillité dans le City Park. Comme ça, on commencera à s’inoculer le vaccin de la démarche de victime et ça nous aidera pour la suite, pour le collège, parce que le fait même que tu essaies d’avoir une autre démarche, tu vois bien que ça te bloque à la sortie de la maison le matin, parce qu’il y a une forte probabilité que ton corps ne t’obéisse pas. Et ça tu le sais. Donc ça t’empêche de franchir le seuil.

-Oh là là, j’ai pas envie de marcher bizarrement, même si j’ai une explication à donner aux autres. En plus j’ai une autre peur au collège, c’est que les autres me traitent de mytho en disant que je suis pas malade en vrai et que j’ai mythonné pour pas aller en cours. »

Cette peur, très légitime, est presque toujours présente chez les élèves qui ne sont pas allés de nombreuses semaines au sein de l’établissement, la thérapeute y avait donc déjà réfléchi entre les deux séances.

-Je comprends que tu n’aies pas envie, mais tu vois, ta démarche de victime, c’est ce qui reste de ta peur, si on ne la laisse pas s’exprimer, elle va t’embêter de plus en plus. Tu as vu ce qui s’est passé quand tu as laissé la place à ta peur pour s’exprimer dans ta tête ? Elle a baissé de 60% parce que tu as été super courageuse. Pour obtenir les 30% restants, (parce qu’une peur à zéro, c’est impossible et même c’est dangereux), nous devons montrer à ta peur qu’elle peut venir jusque dans ton corps, te faire marcher comme une victime, tu l’accueilleras quand-même. Ça prouve que c’est vraiment une amie. Pour l’instant, tu lui as dit qu’elle était une copine, mais j’ai l’impression que ça ne lui suffit pas… Tu sais quoi, j’ai une idée, tu pourrais aller voir tes potes dès la première seconde de ton premier jour, et leur dire : « les gars, c’est la merde, j’ai chopé un Covid long qui a modifié ma façon de marcher. On dirait une grosse victime, regardez. » Et tu marches en mode fragile.

-Ah ouais, genre, Covid long, ça existe en plus.

-On essaie au City park ce soir ?

-Non, c’est mort, y a mon frère, il va dire que c’est pas vrai. Mais je vais essayer demain au collège. Si j’arrive à y aller. »

Donc si vous rencontrez une jeune collégienne avec une démarche de grosse victime pendant les inter-classes, c’est Salomé. Dites-lui bonjour de notre part !

Emmanuelle Piquet