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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Rendre autonome

« J’aimerais tellement qu’il soit autonome ».

Voilà une phrase de parents fréquemment entendue en consultation. « Zoé est très différente de son aînée pour qui les étapes se sont déroulées naturellement. Comment  savoir à quel moment, dans quel domaine, la laisser faire toute seule ?», nous demandait leur maman.

En effet, les enfants naissent différents et grandissent différemment. Tel sait manger seul à 18 mois, si l’on considère qu’un tiers de yaourt est une perte tolérable ; tel autre ne sait pas où sont rangées ses chaussettes à 48 ans. On peut raisonnablement supposer que le premier a pu faire, et renouveler, la difficile expérience de porter une  petite cuillère à sa bouche. Et que le second est protégé par une fée, ou un magicien qui fait apparaître le nécessaire sans que le besoin de connaître le  truc de prestidigitation ne soit pressant. Si la fée est partie en congrès ou le magicien à l’atelier floral, le rejeton risque de se sentir plus démuni qu’un va-nu-pieds.

D’où l’immense bienveillance qui nimbe ces moments quelquefois éprouvants où ses parents laissent Riri courir sur le muret qui domine le chemin ; permettent à Pépette de s’habiller seule pour aller à l’école avec tous ses vêtements préférés (dont la doudoune rose, le short à carreaux vert pomme, le gilet en velours jaune « doux comme du chat » et les sandales dorées) ; encourage Doudou à traverser la piscine sans les bouées – et sans respirer, parce qu’à ce stade, seule l’apnée est compatible avec les battements de pieds ; autorise Coco à sortir le soir sur le scooter de ce garçon dont le rideau de cheveux un peu gras ne dépare pas le vocabulaire monosyllabique.

« Ce n’est plus un bébé » soupire ces parents, qui ont vérifié que l’herbe du fossé est assez épaisse pour amortir une chute ; suggéré que le collant turquoise « ferait joli » aussi, puisqu’on est en décembre ; accompagné en marchant sur le bord du bassin la progression de leur triton ; glissé à leur princesse « Tu sais à quelle heure nous sommes convenus que tu rentres. Alors, bonne soirée », sans ajouter « Quoi qu’il en soit, je ne pourrais pas dormir tant que tu ne seras pas revenue »

Ces parents permettent à leurs enfants de « s’essayer » à la vie, en renonçant à les prendre totalement en charge. Ce n’est jamais dénué de risque(s), la vie, voilà pourquoi ils restent à leurs côtés, étape après étape, en leur signifiant « Vas-y, lance-toi, j’ai confiance en tes capacités et je te regarde ». Ce qui n’a rien à voir avec les abandonner à eux-mêmes. C’est même à peu près l’inverse.

La maman de Zoé a glissé : «Moi, j’aime bien penser que je suis comme un tuteur qui guide l’arbrisseau. Quand le tronc est assez gros et n’a plus besoin de soutien, il poursuit seul sa croissance, détaché. Et le tuteur sera ensuite peut-être utile à d’autres pousses de la famille : en vieillissant, on a parfois besoin de s’appuyer pour rester droit…

En renouvelant la métaphore jardinière qu’on croyait éculée pour parler du « fruit de nos entrailles »  qui « poussent » ou  des « branches » de la famille et des « pommes qui ne tombent jamais loin de l’arbre », cette maman permet aussi de rappeler qu’un tuteur ne doit pas être collé à son arbrisseau, ni ne l’enserrer de trop près, sous peine de le voir résolument s’éloigner pour mieux trouver l’espace qui lui est nécessaire…arbre-tuteur-support-trottoir-courbe

Muriel Martin-Chabert