À 180 Degrés / Chagrin Scolaire
En 2011, je vivais à Paris et je travaillais dans une grande entreprise américaine, en marketing, je réfléchissais à la suite. J’avais demandé à faire un bilan de compétence et dans ce cadre-là, j’avais choisi une consultante qui était en train de se former à l’IGB au modèle de Palo Alto. Au gré d’une conversation, elle m’avait parlé de ce qu’elle faisait et ça m’avait interpellée, d’autant plus que je pensais m’orienter – c’était flou à l’époque – dans les façons d’accompagner les gens sur des problématiques un peu complexes. C’est comme ça que j’ai entendu parler du modèle. Ensuite, je suis allée assister à une réunion d’information où l’équipe de l’IGB présentait les modules de formation. Et j’étais ressortie de cette présentation en me disant : « C’est exactement ça, en fait. Ça me parle. » Je trouvais que c’était bourré d’intelligence et d’humilité à la fois. Ça m’a paru tout de suite assez juste. J’ai mis un peu de temps à mettre cela en œuvre, j’avais aussi un projet de deuxième enfant : j’ai fini par démarrer vraiment début 2013.
Je n’étais pas du tout psychologue, j’exerçais une fonction de directrice marketing, cela n’avait rien à voir. Dans le cadre de ce projet de reconversion professionnelle, j’ai amorcé une reprise d’études : j’ai repris à zéro, en première année de psychologie, je suis repartie pour 5 ans d’études universitaires qui, entre nous, ont été d’un ennui mortel. Heureusement en parallèle, j‘ai commencé à me former au modèle de Palo Alto, et j’ai aussi quitté la boîte dans laquelle je travaillais. C’était un peu compliqué parce qu’à la fac, je suivais un cursus extrêmement généraliste, avec notamment des modules de psychologie clinique. Je me suis retrouvée à faire le grand écart entre des attentes universitaires qui, sur un module de psychologie clinique, attendait de moi à l’examen des réponses plutôt psychanalytiques ce pendant que je me formais à une approche extrêmement différente.
Ma vie professionnelle, c’est sûr, puisque ce que je fais aujourd’hui n’a absolument rien à voir avec les métiers que je pouvais exercer à l’époque : tant mieux ! Mais forcément, il y a eu des impacts plus globaux. C’est une approche qui fait que pas une personne formée ne va pas voir sa vie personnelle modifiée ; et je crois que, pour moi, peut-être parce que c’était concomitant, c’est dans la façon dont j’ai élevé mes enfants. Quand j’ai rencontré le modèle de Palo Alto, je me souviens avoir fait une expérience émotionnellement correctrice. J’avais le potentiel (et j’ai encore ? [rires]) d’être une mère très, très pénible. Ce sont mes gamins qui ont beaucoup gagné à ce que je me forme à Palo Alto ! À l’époque, mon aîné avait 4 ans, et moi je suis française, donc je baigne dans une culture sociétale qui est quand même empreinte de psychanalyse. J’étais abonnée depuis une bonne dizaine d’années à une revue grand public de psychologie, dont je n’avais pas encore identifié que sa ligne éditoriale était empreinte de courants cliniques spécifiques. Mon fils avait des problématiques de sommeil. Jusqu’à ses 4 ans, il ne se réveillait pas mais nous réveillait, me réveillait toutes les nuits, jusqu’à 5 ou 6 fois par nuit. Il avait un sommeil super agité, il criait, il pleurait dans son sommeil. Moi, jeune mère à l’affut que j’étais, je me réveillais au moindre bruissement. J’ai amené mon cas en exercice, dans le cadre de la formation. J’avais essayé mille milliards de ce que l’on appellerait de bonnes TR [rires] pour faire en sorte que le sommeil de cet enfant soit apaisé. J’avais déjà eu 1000 interprétations sur ce qui, sans doute, était la cause de ces troubles-là. J’étais extrêmement créative en la matière. Ma grossesse avait été une période compliquée pour moi. Donc, je me disais qu’il avait sans doute perçu ces angoisses quand il était dans mon ventre, que sans doute, dans son sommeil, il revivait, d’une certaine façon, ce qu’il avait vécu dans mon ventre et donc, que s’il était si mal durant la nuit, c’est qu’il était très angoissé et qu’il fallait que je réussisse à apaiser tout cela. Donc, c’était bien de ma faute… ! [rires] Et en l’occurrence, oui ! Mais d’une façon beaucoup plus interactionnelle. Qu’est-ce que je faisais concrètement ? Toutes les nuits, je me levais, bien sûr, et je lui parlais tout doucement, pour l’apaiser dans son sommeil ; je posais la main sur lui en lui disant que tout allait bien. J’avais développé des stratégies en amont pour qu’il ait un sommeil très apaisé. En l’occurrence, j’avais imaginé de lui faire écouter de la musique douce, j’avais imaginé qu’on se raconterait notre journée pour se dire ce qu’on avait bien aimé, pour être sur du positif. J’avais choisi, magnifiquement, des albums avec des thématiques apaisées. Très, très, très, très bonne en persévérance. Mais dans ce qui ne marche pas. Le « faire plus de la même chose qui ne marche pas », je l’ai vraiment bien expérimenté à cette époque-là.
On m’avait bien dit : « N’y va plus, quand il te réveille comme ça ! », encore une fois, lui ne se réveillait pas. Pour moi, c’était impossible de l’envisager tellement j’avais l’impression de l’abandonner, ce pauvre enfant, à d’atroces souffrances et à l’angoisse nocturne… jusqu’à ce que, dans le cadre de ma formation, une fille qui se formait avec moi et qui, d’une certaine manière, a sauvé mes nuits, a rendu très aversif le fait d’y aller. Elle a réussi à bloquer toutes mes tentatives de régulation inopérantes, en mobilisant l’émotion que j’avais, en la déplaçant. Là où j’avais peur d’être une mauvaise mère en n’intervenant pas, elle a fait en sorte que je devenais une mauvaise mère en y allant. Elle m’a dit, avec une logique très métaphorique d’ailleurs, que le fait même que j’intervienne empêchait les choses : que s’écrive ce qui devait s’écrire, de traverser de ce qui devait se traverser dans sa nuit et que, quelque part, j’étais extrêmement intrusive en venant le voir dans son sommeil. Ça m’avait beaucoup parlé, c’était très aversif pour moi de me dire que j’étais intrusive dans le sommeil de mon enfant. Je suis revenue d’un module de formation en me disant « Il ne faut plus que j’aille le voir ». Les premières nuits, j’ai beaucoup pris sur moi pour ne pas y aller, et quinze jours plus tard, c’était réglé. C’était ma première expérience et depuis, Palo Alto a changé des choses dans ma vie personnelle. J’aurais pu être une mère qui grimpe beaucoup en escalade symétrique avec ses gamins, à vouloir avoir du contrôle sur les comportements, sur les émotions de mes enfants. Ne pas m’embarquer là-dedans fait que je me mets un peu moins en échec que ce que j’aurais pu faire si je n’avais pas connu le modèle de Palo Alto. J’aurais pu punir davantage, donner des conseils, des solutions, prendre en charge à des moments où les enfants ont plus besoin d’être entendus.
D’abord, intervenir dans des relations qui ne sont pas les miennes. Mes enfants étaient tout petits, mais j’avais déjà tendance à vouloir intervenir entre eux deux, par exemple. Je pense qu’il y a des choses que j’aurais pu faire et que j’ai moins faites (je dis bien « moins » …), c’est notamment ce contrôle de l’incontrôlable. Avec mon deuxième fils, qui a un appétit de moineau, j’aurais vraiment pu monter en escalade avec lui sur le thème « Mange ! Tu dois manger ». Je pense que j’aurais été une championne pour ça alors que, évidemment, je n’ai pas le pouvoir de faire en sorte qu’il mange s’il a décidé que non. Je peux juste lui présenter des alternatives, avec les conséquences qui peuvent être associées au choix qu’il fait. C’est tout ce que je peux faire. Donc, je pense que je suis moins dans une logique de contrôle. Moins. Un peu quand même… [rires] Les devoirs, par exemple : mes gamins gèrent leur devoirs tout seuls. J’aurais pu être une mère qui contrôle beaucoup les devoirs, qui accompagne beaucoup ses enfants, qui n’ont pas besoin d’elle pourtant, dans la gestion de tout ça. J’aurais pu faire de erreurs que, du coup, je n’ai pas faites, ou moins, grâce à Palo Alto.
La prémisse qui me parle le plus est celle de la non-normativité. Contrairement à d’autres approches, on va essayer de comprendre la logique du problème en s’affranchissant de toute norme, de toute vision extrêmement rigide des choses. On va essayer de comprendre ce qui fait que c’est logique que les gens aient fait ce qu’ils ont fait, aussi bizarre que cela puisse paraître, ce qui fait que ça se tient, avant de se demander ce qui fait que ça se maintient et que ça s’aggrave. Il s’agit d’aller chercher toutes les intentions qu’ont les gens et de les comprendre plutôt que de les faire entrer dans des cases, de se dire que ce n’est pas normal. C’est quelque chose qui est extrêmement important dans le modèle qu’on utilise. Même si ce n’est pas facile. Autant je trouve que ne pas s’inscrire dans des normes type les « étiquetages » par exemple du DSM m’est plutôt naturel, sans doute parce que ça rejoint ma propre vision du monde, autant je trouve compliqué de ne pas venir calquer des normes qui ne seraient pas forcément sociétales mais personnelles sur des problématiques de patients. Je sais que ce sont souvent des cas comme ça que j’amène en supervision.
J’ai parfois du mal, lors des premières séances avec des adultes qui viennent en désignant leur enfant comme « patient » ; ou des parents qui viennent parce que les enseignants ont pointé du doigt leur gamin comme étant celui qui a un problème, avec une demande qui relève du « Remettez-le moi normal, faites-le rentrer dans la bonne case, s’il vous plaît ; remettez-le un peu droit, aidez-moi à faire ce que je n’arrive pas à faire : contrôler le comportement de mon gamin, ou son émotion ». Ça m’est super compliqué, surtout quand je n‘arrive pas à toucher du doigt la souffrance du parent. Le comportement de l’enfant leur pose un problème, mais si lui va bien, ce qui va créer le problème, c’est ce que tous les adultes vont continuer à faire. Quand je n’arrive pas à faire saisir cette logique interactionnelle, ça m’est compliqué. Et ça m’agace… [rires] « Non, je ne serai pas celle que tu vas instrumentaliser pour redresser ton gosse. Il est très bien ce gosse rebelle » [rires] C’est parce que, au fond, j’accorde, moi en tant que personne, qu’individu, de la valeur, à une forme de liberté. Quand ça vient être percuté par des demandes, de parents, par exemple, c’est dur, d’autant que j’aime, dans la pratique, être authentique. Quand je suis dans une empathie sincère, j’arrive bien à faire bouger les choses d’une façon stratégique. Mais quand il faut rejoindre une vision du monde qui est super loin de la mienne et que c’est la seule façon de faire pour réussir à tisser une relation, d’une part, et à faire en sorte de les accompagner vers le changement et notamment dans ce qui va être bon pour leur gamin, si je reprends le même type d’exemple, je trouve que c’est quelque chose de difficile.
D’une manière globale, j’ai plutôt de la chance : il est rare que j’aie des situations qui m’empêchent de dormir. Mais ça m’est arrivé et quand ça m’arrive, c’est que je ne comprends pas la logique du problème. Ça me rend dingue. Souvent, ça redit combien il faut repréciser les choses dans le questionnement : trouver ce qui pose le plus de problème, ce qui est précisément l’objectif, aller précisément chercher les séquences qui illustrent le problème. Ça invite chaque fois à revenir vers ça. Ce qui me turlupine, c’est quand je ne l’ai pas, quand je ne le sens pas.
Ce que j’aime, c’est « craquer » la complexité du problème. Emmanuelle est très fine et précise et je voudrais avoir cette précision chirurgicale dans l’analyse et la compréhension du problème, dont découle de façon logique la stratégie, puis la tâche, super ciselées. Et je n’y suis pas… [rires]. C’est aussi pour ça que je fais ce métier. Là où il y aura le plus de complexité et de singularité, ce sont dans les problématiques humaines : ce n’est que du sur-mesure. C’est déjà ce qui m’a amenée à ces formations à ce métier et c’est encore aujourd’hui ce que j’aime le plus dans ce que je fais. Il y a ça et certaines rencontres de gamins. Moi, si je pouvais, je serais psy des enfants de 7-10 ans, mais sans parents [rires]. J’adore les gamins de 7, 8, 9, 10 ! J’adore les rencontres avec les enfants de cette tranche d’âge-là, parce que je trouve qu’ils sont hyper authentiques, hyper ouverts ! On peut faire des trucs avec eux qui sont assez dingues, parce qu’ils nous suivent sur des stratégies les yeux fermés., avec vachement d’ouverture, de confiance. Et de courage aussi… Par exemple, quand on leur demande de convoquer des choses qui leur font peur. Plein d’exemples me viennent J’ai demandé à une gamine de convoquer des personnages qui font lui peur qu’elle voyait. Il y avait la « Dame Blanche », Chucky, Annabelle et je ne sais plus qui… Donc, elle avait tendance à les chasser, c’est normal : ça fait tellement peur. Quand on se trouve dans une stratégie qui amène à lui dire qu’il va falloir qu’elle appelle la « Dame Blanche » et qu’elle te suit… ! Quand il faut expliquer aux parents ce que tu lui as demandé, tu te dis, ils vont me prendre pour une grosse cinglée !… ils ne vont plus jamais vouloir que leur fille vienne ! [rires] Les enfants prennent, eux, nous suivent dans la logique. Ce sont des thérapies où la relation est d’une qualité exceptionnelle et ça fait toute la différence dans l’efficacité de la thérapie tout court. Il y a une part de ce qu’on travaille et une part immédiate, comme les rencontres dans la vie : il y a des gens avec qui ça accroche tout de suite. Les belles rencontres, ça commence parfois dans la salle d’attente. L’autre jour, j’arrive un peu en retard dans la salle d’attente et là, la petite fille que je devais recevoir chuchote quelque chose à l’oreille de sa mère, qui se marre puis me restitue ce que la gamine vient de dire. La petite a remarqué que, dans ma salle d’attente, j’ai une orchidée, une fausse orchidée. Alors elle a dit à sa mère : « Mais, comment, si elle a des fausses plantes, je vais pouvoir la croire ? ». Donc, dès la salle d’attente, on commence. Je lui ai expliqué qu’au début, j’avais une orchidée naturelle dans ma salle d’attente, mais comme je ne suis pas là pendant le week-end et les vacances, il n’y a pas de lumière puisque les volets sont fermés alors elle est morte et donc j’ai décidé d’en mettre une fausse à la place. Une fois que nous avons été dans le cabinet, sa demande était : « Je voudrais que tu me dises que mes parents ne vont jamais partir et m’abandonner » … Sa demande résonnait avec ce qui s’était passé en salle d’attente : si je lui disais, elle était prête à me croire. C’est bien sûr ce que tout le monde dans son entourage faisait déjà, la rassurait, parce qu’elle avait très peur.
Le début, la rencontre avec la personne. Le moment où on s’apprivoise. J’aime bien parce qu’on a une diversité de patients incroyable : d’une heure sur l’autre, on peut passer d’un monsieur qui exerce dans une grande entreprise à quelqu’un qui vit dans une caravane, on bascule d’un monde à l’autre. J’aime ce début de thérapie où l’on rencontre l’autre dans sa singularité. Après, ce que j’aime, j’avoue, c’est quand les patients reviennent et qu’ils ont fait leur « travail » [rires] et que ça va mieux. Je me dis qu’on est dans la bonne direction et de façon très égoïste, ça me soulage. Quand ils ont fait la tâche et qu’il y a déjà des effets de cette tâche, quand je vois la transformation en eux, ça me conforte, ça me rassure quant au fait que je suis dans la bonne direction. Et j’aime aussi le moment où on se dit « au revoir » : ce sont des gens qu’on a accompagné sur un petit bout de chemin et qui repartent en étant soulagés de ce qui les faisait souffrir. J’aime quand ils repartent avec le sourire, qu’ils te disent en cela « merci ».
Il y a un livre que j’aime beaucoup, c’est celui de Gregory Lambrette, Bateson, la sagesse systémique, pour plusieurs raisons, qui ne sont pas forcément liées au livre-même. J’ai eu Grégory Lambrette en formation et j’ai adoré le bonhomme, intelligent et simple à la fois. Ce livre a, d’une certaine façon, mis à ma portée l’essentiel de la pensée de Bateson, qu’il rend accessible, selon moi.
Un bouquin que je trouve important, celui d’Emmanuelle Piquet et Alessandro Élia, Nos enfants sous microscope. Il est important parce qu’au-delà du fait que ce livre aborde un sujet qui me touche, qui m’est cher, je trouve que c’est un livre courageux, qui apporte un regard critique sur la société dans laquelle on vit. J’ai parfois l’impression – et c’est une frustration – que mon action est à une toute petite échelle, que je suis un tout petit colibri qui apporte une goutte d’eau pour éteindre l’incendie : 1 thérapie, 1 patient… bien sûr que ça apporte des choses mais parfois je regrette que ce que je fais n’ait pas une portée plus globale, de ne pas contribuer à un 180 degrés à une échelle plus méta. Et je trouve que ce livre, par certains aspects, peut permettre de penser de façon plus sociétale des choses qui ne fonctionnent pas, au-delà de l’échelle individuelle.
C’est important d’abord parce que c’est une tribu choisie à laquelle je me sens appartenir. Il y en a d’autres, des tribus « palo-altiennes », mais c’est celle dont je me sens la plus proche et c’est lié aux gens, du premier comme du deuxième cercle ; c’est lié à Emmanuelle, beaucoup. Ce qui fait que je suis venue à ce groupe À 180 degrés/Chagrin scolaire, c’est la dimension « souffrances scolaires », justement. J’ai découvert Emmanuelle par la conférence TedX et par un camarade de promo à l’IGB, en 2014 ou 2015. À l’époque, j’accompagnais des étudiants, j’ai travaillé sur un projet d’innovation pédagogique, inspirée de la pédagogie Freinet (qui serait un bon 180 degrés pour le système classique [rires]). C’est comme ça que je suis venue vers À 180 degrés et Chagrin scolaire, c’est comme ça que j’ai suivi quelques modules, puis fait l’intensif.
C’est important d’être en lien. Le fait d’appartenir à l’annuaire est la marque de mon envie du maintien d’un lien avec l’équipe et avec Emmanuelle en particulier, et ce d’une façon qui, en même temps, me ressemble. D’une façon qui est respectueuse de l’indépendante, de la sauvage que je suis.
De se mettre en action pour sentir si ça lui convient ou pas : avoir un échange avec un membre de l’équipe, lire un livre, faire un module : passer par l’expérience, quelque chose d’assez processif. Et puis, je pense, avec le recul, qu’il ne faut pas hésiter à se faire accompagner, y compris en thérapie, si on en ressent le besoin car cette formation peu apporter des difficultés, voire des problèmes qui sont difficiles à résoudre par soi-même. Avec le recul, je pense que j’aurais dû me faire accompagner, en thérapie, ne serait-ce que quelque séances, pour mieux traverser des moments de formation qui ont pu m’être difficiles. Cela peut être nécessaire. Ou pas. Ce n’est pas la logique qu’il y a parfois dans certains cursus de formation, sous l’angle : « faire un travail sur soi-même parce que c’est important pour ce métier ». Pas du tout. Mais ce sont des formations qui bousculent et peuvent mettre en difficulté, des difficultés qui se surmontent, que l’on traverse, et qui justifient que, si on en ressent le besoin et seulement à ce moment-là, de se faire accompagner.
Mais surtout, si quelqu’un me disait « j’ai tellement envie de faire ce métier », je lui dirais « Fais ! et tu verras. Écoute-toi et tu verras si c’est juste ou pas ». Il faut faire un pas devant l’autre, on ne sait pas à l’avance si on sera bien et si on fera ce métier ou pas. Il faut faire l’expérience.
Il y a des moments où j’aurais aussi eu besoin de supervision de ma pratique professionnelle, sur moi en lien avec ma pratique, et non pas une supervision d’un cas pratique (dans les supervisions que l’on fait, la focale est mise sur des cas, sur le patient Y et la problématique X). Ce serait comme si on appliquait la grille systémique non pas au patient mais au thérapeute en difficulté. Je ne sais pas si c’est ça qui m’aurait aidée ou pas, mais en tout cas, dans les difficultés que mes premiers pas dans la pratique ont générées, j’aurais, je pense, gagné à les identifier plus tôt et à les reconnaître, à en faire quelque chose pour moins souffrir. J’ai fini par le faire, car c’est bien compliqué de se tirer soi-même par les cheveux, n’est-ce pas ? [rires]
En ce moment, j’ai un peu cette frustration de me dire qu’on mobilise Palo Alto, les uns et les autres, comme des colibris et c’est très important, mais je crois que la puissance du modèle est tellement évidente que je m’interroge parfois sur comment on pourrait mobiliser cette approche à un niveau plus méta. Je me dis que parfois, le modèle pourrait aider à régler de façon plus globale des problèmes de société. Il y a une phrase de Bateson, dans Vers une écologie de l’esprit : “The major problems in the world are the result of the difference between how nature works and the way people think” qu’on pourrait traduire par : “Nos principaux problèmes proviennent de l’écart qu’il y a entre le mode de pensée de l’homme et le mode de fonctionnement de la nature »
Il y a plein d’endroits où on fait des choses, on intervient, on fait, on mobilise la soi-disant raison… et où on met le bazar…
Si on revenait à des choses plus processives, au fond, peut-être y aurait-il parfois moins de problèmes. C’est mon côté idéaliste ! [rires]