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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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11 octobre 2022
Mettre en place un À 180 degrés dans sa classe

Joséphine, enseignante dans les Pyrénées, a trouvé une solution à 180 degrés pour apaiser le climat dans sa classe en aidant une très jeune élève et sa famille.

Joséphine[1] raconte.

« J’ai contacté Emmanuelle Piquet au sujet de Romy, une enfant de 4 ans un peu difficile qui était dans ma classe cette année-là. Son cas était particulier :  sa tante maternelle était devenue sa responsable légale depuis que la mère de l’enfant avait été déclarée majeure incapable. Romy était déjà scolarisée en petite section dans la classe de ma collègue et ça ne se passait pas très bien. Romy n’écoutait pas les consignes, s’allongeait par terre, faisait le pitre ; elle criait, crachait, tapait : c’était difficilement gérable pour ma collègue qui ne savait plus comment s’y prendre. Aussi, quand on a fait les répartitions pour la nouvelle année, on a décidé de voir si, dans une autre classe, ça se passerait différemment. Ma collègue s’attendait peut-être à ce que je fasse des miracles ou pensait que cela venait d’elle…  Mais les choses se sont passées de la même manière dans ma classe, évidemment.  

J’ai reçu la tante de Romy plusieurs fois. Elle me disait qu’elle ne voulait pas entendre parler de psychologue parce que c’était déjà très difficile pour elle d’avoir vécu la maladie de sa sœur : elle ne voulait pas remuer des choses douloureuses. Cette dame était convaincue que ce n’était pas en posant des questions à Romy sur l’absence de sa mère que cela arrangerait les choses. La tante de Romy avait essayé de l’art-thérapie et une sorte d’hypnose-méditation-sophrologie, quelque chose comme ça, mais elle n’y croyait pas et quand elle se rendait aux rendez-vous, elle disait, devant Romy : « Bon, on y va, mais ça ne marche pas. De toute façon, tu n’es pas réceptive. » Comme je connaissais déjà Emmanuelle Piquet, j’ai proposé à la tante de Romy de la consulter : « J’ai quelque chose à vous proposer, qui ne s’inscrit pas dans une psychanalyse, ce ne sera pas sur du long terme. C’est une approche un peu différente. Mais téléphonez, vous verrez. » J‘avais quand même pris soin d’appeler le centre Chagrin scolaire pour préciser : « Vous allez avoir un cas un peu particulier ; la tante de cette petite fille me l’a dit, c’est vraiment la dernière chance. Si ça ne marche pas, elle ne voudra plus du tout entendre parler d’accompagnement. Je n’aurais pas d’autre possibilité de la convaincre. » Emmanuelle s’est occupée de la petite fille puis elle m’a ensuite contactée pour qu’on essaie de voir, concrètement, comment on pourrait aider Romy en classe.

Une question de posture

Emmanuelle m’a proposé plusieurs exercices, que j’ai essayé de mettre en place. En discutant ensuite avec elle, sans nous en tenir à cette seule situation particulière, je me suis rendu compte – mais je m’en doutais un petit peu – que c’était ma posture à moi qui n’allait pas. Je m’en doutais mais je m’en suis vraiment rendu compte à travers le cas cette petite fille.

Il faut dire que jusqu’à récemment – et je suis « instit » depuis 2005 et en maternelle depuis 2011- on voyait rarement un enfant difficile comme ça dans sa classe. Il pouvait y en avoir un dans toute l’école, dont on parlait entre collègues pour chercher comment l’aider. Maintenant, on est chacun•e submergé•e par ces situations-là. On a au minimum quatre ou cinq enfants dans les classes qu’on n’arrive pas à gérer, pour lesquels, c’est que je pense maintenant avec le recul, on n’est pas formé•e•s à  la manière de les prendre comme ils se présentent à nous.

Ce que j’ai beaucoup aimé avec Emmanuelle, c’est que, sans du tout me remettre en question, elle m’a fait réaliser que j’étais souvent dans la négociation. Je procrastinais beaucoup en disant : « Je ferai cela… » et puis en fait, je ne le faisais jamais ; ou alors, je menaçais de pseudo-punitions. Je disais : « Tu vas sortir du groupe, si ça continue ». Et je ne le faisais pas nécessairement. Pour ces enfants qui ont besoin de savoir où ils vont et se sentir en sécurité, ça ne marche pas.

J’ai regardé plusieurs vidéos proposées sur le site de Chagrin scolaire, mais il y en a une qui m’a interpellée, celle d’une conférence[2] qui a été faite pour les 10 ans de Chagrin scolaire et qui explique que souvent, on essaie de « fermer les vannes du bassin de rétention ».  Je me suis reconnue disant « Mais bon sang, arrête-toi ! » à Romy qui continuait, alors que je l’avais pourtant bien regardée dans les yeux, en me baissant, en l’écartant du groupe… Je voyais bien que ça produisait l’effet inverse de ce que je voulais et que non seulement ça ne marchait pas, mais que ça m’énervait encore plus. J’ai tendance à aimer que ce soit carré, cadré et que ce soit plutôt calme dans ma classe, et du coup, son malaise à elle s’installait chez moi. C’était un cercle vicieux.

Donc, Emmanuelle m’a dit « Quand vous lui avez dit une fois, deux fois… à la troisième, il faut être intransigeante. » Elle m’a proposé d’aménager un petit coin pour ce qu’elle a appelé le « repos de la guerrière ». Dans ma classe, c’est facile, il y a un mur « accordéon » derrière lequel est installée une partie dortoir. Alors, je pouvais dire à Romy, quand elle faisait une crise : « « Écoute, tu es trop fatiguée, va t’allonger jusqu’à ce que tu aies envie de revenir et que tu te sentes prête à le faire ». D’ailleurs, c’était vrai : elle était vraiment fatiguée. Au début, ça été très difficile. Romy est restée quinze jours allongée, sans vouloir revenir dans le groupe et sans s’endormir pour autant. Même Emmanuelle n’en revenait pas. Moi, j’étais un peu désemparée, parce que, comme je le disais, j’aime bien les classes où ça tourne ! Je me disais : « Quinze jours allongée, comment ça va se passer ? comment je vais justifier ça, si l’inspecteur arrive ? et même sans parler d’inspecteur : si son oncle et sa tante me demandent des nouvelles ? » Emmanuelle m’a dit : « Non, on continue, on ne lâche rien, on va forcément arriver à un point de rupture où elle va s’ennuyer et elle va chercher à revenir ». Effectivement, c’est ce qui s’est passé, peu de temps après. Sauf que, quand elle est revenue, ce n’était pas toujours dans les conditions qui étaient dans le contrat.

Avant qu’elle n’aille pour la première fois dans son petit coin repos, elle était vraiment dans la violence. Elle pouvait très bien passer à côté d’une table et tout balayer du bras pour faire tomber les jeux de l’atelier où travaillait l’enfant à côté d’elle ou alors prendre un crayon de couleur et de gribouiller le coloriage d’un copain. C’était de la violence envers les autres : dire des méchancetés ou cracher sur eux, jeter leurs affaires, faire des barricades avec les chaises dans la classe pendant que les autres élèves étaient sur les bancs. Or, quand elle est finalement revenue d’elle-même de son coin « repos de la guerrière », elle refaisait parfois cela. Il fallait que je lui dise : « Eh bien non. Tu es revenue, super, je suis contente sauf que ça ne me convient toujours pas comme ça. Si tu ne veux pas travailler, tu ne travailles pas, ce n’est pas gênant mais je ne veux pas que tu perturbes les autres et que tu fasses du bruit. Dans ce cas-là tu retournes te reposer, tu n’es pas prête. » Elle refaisait les mêmes choses, mais c’était beaucoup moins violent qu’avant, alors plusieurs fois, j’ai cédé.

Pour moi, ça a été la partie la plus difficile. J’avais laissé peu à peu se réinstaller cette situation. Petit à petit, elle regagnait du terrain. Emmanuelle m’a dit : « Non :  là, ça va être le moment clé, il ne va pas falloir lâcher parce que c’est maintenant que tout se joue. » Donc, j’ai redoublé d’efforts pour rester dans ce qu’on avait dit. Je n’y arrive pas encore pour les autres enfants, mais pour elle, oui, parce que je suis focalisée sur elle et que je sais comment il faut que je m’y prenne. Mais je vois bien que, quand on est enseignant et qu’ils sont cinq ou six élèves à nous faire le coup en même temps, ce n’est vraiment pas évident. J’ai compris que c’était ma posture qui était importante.

Mais la posture de la famille a aussi beaucoup changé. Avant, la tante de Romy m’affirmait que tout allait bien à la maison, qu’elle ne comprenait vraiment pas pourquoi ça ne se passait pas bien à l’école. Quand je lui disais que je trouvais cette petite fille vraiment très fatiguée,  elle me répondait : « « Et bien pourtant, elle est couchée à 20 h, et sans problème », alors qu’elle confiait à  l’animatrice de la garderie que c’était l’enfer et qu’elle était obligée de  courir après Romy qui se relevait je ne sais combien de fois, qui voulait le doudou puis la tablette,  qui faisait des caprices… Peut-être que j’interprète, mais j’avais eu au téléphone l’éducatrice qui s’occupe du suivi et qui me demandait mon avis pour que le procureur puisse statuer, alors je me dis que cette dame devait  avoir une telle hantise de perdre la garde de Romy qu’elle préférait ne pas se confier vraiment.

Un changement pérenne

D’après ce que j’ai compris, les choses ont beaucoup changé à la maison ; la tante de Romy aurait dit à Emmanuelle qu’elle cédait moins aux caprices. Et je l’ai constaté, très nettement, comme si on était en lien et que tout était devenu cohérent. Ce n’est pas encore toujours facile mais à travers Romy, j’ai compris que c’était surtout la posture de l’adulte et la façon dont il intervient qui importe. Quand ensuite j’ai regardé la vidéo de Magalie, j’ai compris que ce n’est pas du tout efficace de « fermer les vannes », de dire : « Mais bon sang, arrête ! » : il faut plutôt ouvrir la porte et accueillir ce que l’enfant demande. Le simple fait qu’il entende que l’adulte l’a entendu, que l’enseignante est disponible pour accueillir ce qu’il exprime, change beaucoup de choses.

Mais encore une fois, on n’est pas formés, en tout cas moi, je ne le suis pas. C’est comme si nous les enseignants, n’avions pas eu de « mise à jour » ! Voilà pourquoi, je vais suivre la formation « Outils pour les Professionnels de l’enfance. Si je pouvais, je suivrais celle qui forme au métier de thérapeute systémique et stratégique, pour aller plus loin. »

[1] Les prénoms ont été modifiés.

[2] Magalie DELOYE, Un Singe dans la lune https://www.youtube.com/watch?v=bOzmLIOwS94