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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Le 180° de l’enseignante d’Eliot

En Suisse, le brillant Alessandro Elia que nous avons la chance d’avoir dans notre équipe, enseigne la méthode de Palo Alto à des professionnels de l’enfance. Une enseignante a tenu à partager son expérience, et a bien accepté que nous publions son témoignage.

 

Eliot est une petite tête blonde, élève de 4ème année avec des yeux bleus toujours grands ouverts. Lorsqu’il sourit, toujours avec gêne, on voit apparaître ses dents toutes écartées. Eliot a 7 ans.
Il est arrivé l’année passée dans ma classe. Il m’a tout de suite interpellée car il était agité, se déplaçait sans cesse et avait besoin de discuter. Il arrivait fréquemment qu’il me coupe la parole. C’était, pour lui, très difficile d’écouter et de retenir les consignes. J’ai très vite rencontré la maman, qui avait commencé un bilan psychologique à la demande de l’enseignante de 1-2P. J’ai eu plusieurs contacts avec différents psychologues. En effet, depuis qu’Eliot est dans ma classe, il en a eu 3 différents.

J’étais tous les jours très fatiguée du comportement de ce petit agité, en plus des autres élèves en difficulté. Il m’est arrivé fréquemment de me sentir seule, impuissante et épuisée. Lors de l’accueil avec les élèves assis en cercle, il tapait par terre ou dans le dos des copains. Il faisait toujours des bruits avec sa bouche, ses mains, comme s’il jouait de la batterie. Il regardait par la fenêtre et nous interrompait s’il y avait quelque chose d’ « intéressant » qui s’y passait. Il coupait la parole à tout le monde. Au moment de se mettre au travail, il avait besoin d’aller aux toilettes, il n’avait pas écouté la consigne ou me disait qu’il n’ « avait rien compris ». Il a eu beaucoup de peine à rentrer en contact avec les élèves de la classe et était souvent au centre des « chamailleries ». Il répétait à longueur de journée qu’il n’avait de toute façon pas d’amis. De plus, il avait beaucoup de peine à entrer dans les apprentissages et préférait se déplacer en tirant les cheveux d’une camarade, en shootant dans le fitball du copain, en gribouillant la feuille du voisin… Lorsqu’il lui arrivait de faire des fautes il se tapait et répétait : « je sais que je suis nul ! », « je sais que j’ai des problèmes dans ma tête ! », etc.

En ce qui me concerne, le plus épuisant était son besoin d’attention. Il n’y avait pas 5 minutes sans entendre « maîtreeeeeeeesse ! ». Je me déplaçais toujours vers lui, j’essayais de le motiver et de l’épauler au mieux. Au fond, c’est un élève très attachant et qui laisse un vide lorsqu’il n’est pas là. Mais je dois quand même avouer que cela me faisait du bien de temps en temps. Oui, j’ose le dire aujourd’hui car j’ai appris à ne plus culpabiliser et ne plus être une enseignante parfaite.

Suite à mes observations et aux multiples entretiens avec ma direction, les parents et les psychologues, voici toutes les pistes qu’on m’a conseillées et que j’ai testées avec Eliot.
  • J’ai installé un élastique de gym sous son bureau afin qu’il puisse bouger.
  • J’ai mis en place le « flexible seating » dans ma classe. Les élèves ont plusieurs assises à choix (tabourets, chaises, fitball, fauteuil, coussins de gym, bouées…).
  • Je lui ai acheté un rubik’s cube, qui aurait dû lui permettre de « rester calme».
  • Chaque matin, à l’arrivée en classe, je lui accordais 10 minutes avec les timetimer pendant que les autres étaient autonomes. L’objectif était de lui donner le maximum d’attention en espérant qu’il en aurait moins besoin dans la journée.
  • J’ai mis en place avec tous les élèves un rituel de compliments à la fin de chaque journée. Eliot y avait le droit à la fin de chaque demi-journée.
  • Durant un mois, je l’ai gardé avec moi à chaque récréation pour qu’il me raconte tout ce qu’il avait envie de raconter.
  • J’ai un système de super-points dans ma classe et le feedback se fait tous les vendredis aux parents par le biais de l’agenda. Pour Eliot, je le transmettais tous les jours à la maman par SMS, à sa demande.
  • Les super points ne fonctionnaient pas avec lui, j’ai essayé de mettre en place un système de coches au tableau, plus visible que les super points dans l’enveloppe.
  • J’ai essayé de le valoriser en le prenant en tant qu’assistant.
  • J’ai acheté des pamires afin qu’il puisse les mettre sur les oreilles et éviter d’être déconcentré.
  • J’ai demandé à la médiatrice de commencer un suivi avec lui. Il avait l’occasion, une fois par semaine de sortir de la classe et aller discuter avec elle.
  • Eliot a eu ensuite le privilège d’avoir une place fixe à côté de moi, afin que je sois disponible tout de suite pour lui.
  • Quand je voyais qu’il s’agitait j’ai imaginé qu’il avait besoin de bouger donc je l’envoyais courir dans la cour de récréation.
  • J’ai tenté de l’envoyer dans d’autres classes afin de me décharger et de ne pas craquer. Il se faisait accompagner par une camarade, disait qu’il avait fini son travail à l’enseignante et au lieu de revenir, il allait se cacher aux toilettes.
  • J’ai la chance d’avoir un parloir libre en face de ma classe, je lui ai expliqué qu’il ne serait pas dérangé et que c’était une chance de pouvoir y travailler. Il est allé dire à la maison que je l’enfermais dans un cagibi tout noir.
  • J’ai essayé de lui mettre un parrain en classe, à qui il devait poser les questions avant de venir me les poser.

Comme vous le voyez, pendant une année je me suis épuisée à essayer de mettre plein de choses en place. Au final, je ne l’ai pas aidé et me rends compte aujourd’hui, avec du recul et grâce à votre formation, que j’ai fait tout le contraire. Plus je lui ai accordé de temps, plus il en avait besoin. Plus je lui portais d’attention, plus il en demandait. Plus je l’aidais, plus il réclamait de l’aide…

En ce début d’année, j’ai été angoissée et stressée à l’idée de le retrouver. Le psychologue lui a diagnostiqué cet été un TDAH avec hyperactivité. Ils sont en train de tester la dose des médicaments afin qu’il puisse se sentir bien. Je me rends compte, en vous écrivant, que je n’ai rien mis en place de spécial pour lui cette année. Je l’ai laissé aller comme les autres en lui enlevant tous ses privilèges. J’étais arrivée à un stade d’épuisement avant les vacances d’octobre. Je n’en pouvais plus d’entendre « maîtreeeeeesse » chaque 5 minutes. Je n’avais plus d’énergie pour lui répéter sans cesse de travailler. Je n’avais plus envie de faire d’effort et d’être à côté de lui car ça me fatiguait tout simplement.

Nous avons eu ensuite le premier cours avec vous. J’ai compris, enfin, que je ne peux pas avoir d’emprise sur son désir de travailler, sur le plaisir ou non qu’il a de venir à l’école. Je suis arrivée le lendemain en classe et j’ai parlé à toute la classe en expliquant la situation. Je leur ai dit que ceux qui voulaient travailler pouvaient rester et les autres pouvaient aller jouer. Je n’aurais jamais osé le faire auparavant mais j’étais arrivée à un stade où c’était ma santé qui était en jeu. Je pense honnêtement que c’est ce qui m’a permis de prendre ce courage et de me lancer.

Les élèves ont donc bien senti que j’avais lâché prise. J’avais même, pour être honnête, envie que certains aillent jouer, ça me déchargeait. Sans grande surprise, Eliot a été très content d’aller jouer avec son copain. La condition était qu’ils ne nous dérangent pas et qu’ils n’avaient pas le droit de revenir travailler ensuite. Ils ont joué 5 minutes mais Eliot s’est vite ennuyé et a essayé de rentrer en contact avec moi. Je ne lui ai pas répondu et lui ai rappelé que je discutais et aidais les élèves qui voulaient travailler uniquement. Je l’ai vu aller prendre une feuille blanche, ce qu’il n’avait JAMAIS fait auparavant et je l’ai vu dessiner/écrire. Eliot ne m’a jamais écrit un seul mot en 3ème année et répétait qu’il n’était pas capable. Après 10 minutes, il est arrivé vers moi et m’a tendu un petit papier :

« Est-ce que je peux travailler s’il te plaît maitresse ? Entoure la réponse oui ou non ». Je lui avais dit que je ne lui parlerais pas alors il a trouvé un moyen d’avoir une réponse sans me faire parler.

Depuis ce jour, je ne dis pas que tout est rose et que tout va bien mais lorsqu’il ne respecte pas une consigne ou me sollicite trop, je le regarde et il me dit directement : « non maîtresse je veux travailler, promis j’arrête ! ». C’est juste incroyable !

Neuf semaines après ce virage à 180°, l’enseignante me signale qu’Eliot continue à vouloir travailler, que c’est un autre enfant, et qu’elle continue à l’encourager à se déconcentrer dès qu’il en a besoin !

 

Initialement publié sur le site du centre Sésames