BLOG


À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

Retour
Quand on s’interroge sur le harcèlement scolaire, quelle est la question ?

Une affaire tragique

Il y a un peu plus d’un an, on apprenait la mort violente d’une jeune fille, Dinah, dont les parents affirment que son suicide fut consécutif à un harcèlement, ce qui a motivé leur dépôt de plainte contre l’établissement scolaire. Ce drame atroce, rare au regard du nombre de jeunes victimes de harcèlement débutant dans la sphère scolaire, explique l’émoi général et légitime l’intérêt que la presse a porté à cette affaire. Dans ces cas douloureux, l’institution scolaire et la justice qui sont saisies par les familles endeuillées, cherchent à établir des responsabilités : c’est le rôle de celle-ci et l’angle choisi par celle-là, soucieuse de vérifier qu’elle n’a pas failli. Récemment, la procureure en charge de cette affaire a annoncé sa décision dans une conférence de presse au cours de laquelle elle a fait preuve de « prudence et de sensibilité », comme les journalistes l’ont souligné. Elle a expliqué que, pour le parquet, la mort de cette jeune fille n’était pas liée au harcèlement.

Il n’est pas question ici ni de discuter d’une décision de justice ni de donner tort ou raison à telle partie, mais de nous interroger sur ce que l’on cherche lorsqu’on qualifie un harcèlement. La définition que le monde judiciaire, et la sphère scolaire à sa suite, s’accordent à donner à ces faits de harcèlement apparaissent assez nettement dans deux phrases de la magistrate qui ont été reprises par plusieurs titres de presse.   

« Il y a eu en effet certaines insultes, mais auxquelles elle répondait sans difficulté, mais il y a eu surtout une souffrance de quitter un groupe qu’elle formait avec un certain nombre d’amies »

« Il y a eu (entre son nouveau groupe d’amies et l’ancien) des échanges un peu houleux qui ont rendu notamment Dinah très malheureuse, mais aucun élément objectif ne ressort qui puisse être qualifié de harcèlement « , a-t-elle ajouté.

Le harcèlement est-il toujours tangible ?

Au tribunal, on juge des faits considérés comme répréhensibles et sanctionnés à ce titre. La justice déclare ne se prononcer que sur des faits et des éléments objectifs, tangibles en ce qu’ils sont univoques. Les procès d’intention ne sont pas de mise, quand bien même certaines décisions sont infléchies par une « intention » de nuire ou son absence. Dans les faits de harcèlement, ce qui génère et amplifie la souffrance, n’est pas toujours objectivable et encore moins judiciable. Les thérapeutes spécialisés reçoivent, et de plus en plus, nombre de jeunes harcelés qui ne sont ni insultés ni frappés, mais qui souffrent essentiellement de n’être pas admis dans un groupe. Cette plainte n’est ni nouvelle ni réservée aux adolescents. Dès la maternelle, la réclamation très anciennement attestée du type « Il ou elle ne veut pas jouer avec moi » se fait entendre. Les élèves de collège savent l’effet de cette mise à l’écart : c’est une mort sociale, à ce titre absolument redoutée dans l’espace de la cour de récréation. Les interventions des adultes – évidemment bienveillantes – ne donnent que fort rarement l’effet escompté : « Jouez ensemble/ Invitez-le ou la dans votre groupe », autant dire « Prenez du plaisir à votre mutuelle compagnie » demeurent des injonctions paradoxales, comme chaque fois que l’on tente de contrôler un sentiment ou une émotion. Il est impossible de décider de trouver quelqu’un sympathique. Alors que faire des actes « en creux » ? Comment sanctionner quelqu’un qui, simplement, tourne la tête pour ne pas saluer ou répondre ? C’est ce que disait Sandra Baudin, dans sa conférence « La P’tite cuisine de la CPE » donnée le 6 décembre 2021, dans le cadre du cycle des « Conférences revigorantes » proposées par À 180 degrés : « Comment punir une ombre ? »  C’est tout aussi impossible.  

« On ne peut pas ne pas communiquer », Paul Watzlawick

Or, ce qui demeure infrangible, c’est la douleur que génère cette mise à l’écart, d’autant plus quand elle est nouvelle. Les adolescents redoutent – à juste titre – d’être « ghosté », ce qui signifie la rupture totale, parfois brutale et souvent sans explication d’une relation antérieure qui les satisfaisait ou les comblait. Le silence et l’indifférence feinte ne sont pas répréhensibles tout en demeurant un message puissant, l’expression d’une violente fin de non-recevoir. C’est une partie du thème du chef-d’œuvre de Vercors, Le Silence de la mer. Pour les protagonistes du roman, le seul acte possible de résistance, car il est impunissable, est de ne jamais répondre à celui qui l’illustre par sa présence dans la maison l’occupation ennemie. Ne pas répondre est un message tonitruant. 

Soigner la relation, laquelle ?

L’aspect relationnel est majeur dans la sphère scolaire. On l’a souvent écrit ici, ce qui importe au collège, au lycée mais aussi désormais à l’école et de plus en plus tôt, est le réseau d’ami•e•s, en ce qu’il est l’expression d’une compétence relationnelle qui n’était pas aussi importante au siècle dernier. Les élèves isolés souffraient peut-être de leur isolement. Pour autant, personne (et parfois pas eux-mêmes), ne les enjoignaient autant à cultiver leur réseau et chacun était plutôt situé•e dans la hiérarchie de la cour selon ses résultats. Aujourd’hui, être isolé•e, ne pas avoir « d’amis » est un fait gravement stigmatisant et au tableau d’excellence figurent les élèves « populaires », ce qui veut dire apprécié•e•s, admiré•e•s et très souvent redouté•e•s.  Répétons-le : la popularité – en tant que manifestation de la place occupée dans le système relationnel de la cour de l’école – est une notion nodale dans les problématiques de harcèlement. C’est un état de fait, dont il faut tenir compte, car la souffrance majeure dont parlent les élèves est générée par le rejet ou la peur qu’ils en ont. Et c’est bien là la seule question à se poser, la seule occurrence qui vaille en matière de harcèlement, scolaire ou non, scolaire aussi : où se situe la souffrance ?  Dans telle circonstance, on peut se sentir offensé•e•, blessé•e•, meurtri•e•, sali•e• par une parole, un geste, un regard. Ou pas. C’est donc la souffrance qui est à considérer et à apaiser. Or, il demeure une tendance forte, institutionnelle voire sociétale, à vouloir d’abord estimer la légitimité de la plainte, sa recevabilité, en évaluant ce qui la suscite et ici, c’est une émotion : la peur de l’isolement social, la tristesse d’être rejeté•e• par une juridiction majeure, celle des « populaires », la colère de ne pas avoir su se faire apprécier.

Face une jeune harcelé•e mis•e à l’écart, le travail du thérapeute stratégique qui utilise les outils du modèle de Palo Alto portera sur l’apaisement de la souffrance générée par l’espoir qu’une relation rompue soit renouée, de la peur de passer toute sa scolarité seul•e dans un coin de la cour ou de la colère, de la honte, du ressentiment que génère la situation actuelle, concrètement. Ce travail visera à imaginer que faire d’autre maintenant, s’occupera de restaurer la confiance en soi que l’on a peut-être perdue en agissant autrement. C’est un travail de réparation qui n’a pas sa place dans les tribunaux et qui ne peut s’accomplir que si l’on prend comme seuls objectifs l’apaisement de l’émotion et de la souffrance ressenties par l’enfant et seulement par lui.

Muriel Martin-Chabert