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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Enquête PISA 2018 : le harcèlement augmente.

Déchiffrage

Le rapport du PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) vient de paraître. Tous les trois ans, cette évaluation menée par l’OCDE donne une image instantanée des compétences des élèves de 15 ans des pays répondant aux différents questionnaires. Les élèves interrogés forment un vaste échantillon : « En France, ont participé au test 6 308 élèves, dans 252 écoles, représentatifs de 756 477 élèves de 15 ans (91% de la population totale de personnes âgées de 15 ans). » On peut considérer que la photo n’a rien de flou.

Parmi les compétences évaluées en 2018 et dont les résultats paraissent en décembre 2019, figurent la compréhension de l’écrit, les mathématiques et les sciences. Les élèves étaient également interrogés sur leur bien-être et sur le climat scolaire. La presse nationale a relayé ces résultats, s’attardant sur le lien, particulièrement fort en France, entre statut socio-économique et performance, faisant de l’école de la République un lieu où se maintiennent les inégalités ; on a souligné aussi les résultats moyens des élèves français qui stagnent en milieu de tableau.

Le harcèlement scolaire augmente.

Ce qui nous semble plus alarmant encore est que les chiffres progressent  pour un fait scolaire : le harcèlement entre pairs.

Le rapport annonce que : « seuls 8 % des élèves ont reporté qu’ils étaient fréquemment victimes de harcèlement à l’école, une proportion légèrement inférieure à la moyenne de l’OCDE (9 %)  » Bien légèrement inférieure, en effet. Et c’est se réjouir un peu vite que d’annoncer comme une moindre chose que « seuls 8% des élèves »sont « fréquemment victimes ». Il faut donc lire, si l’on se réfère aux chiffres que « seuls » 60 500[1] élèves sont sévèrement harcelés dans notre pays.  

Ce n’est pas tout : « Environ 20 % des élèves ont déclaré être victimes d’actes de harcèlement au moins quelques fois par mois (23 % en moyenne dans les pays de l’OCDE). Ce niveau est supérieur de 2 points de pourcentage[2] au niveau observé en 2015 (augmentation moyenne de l’OCDE : 4 points de pourcentage). » Traduisons : 20% des nos élèves de 15 ans, cela signifie 151 200 personnes. Quand on réunit ces deux groupes, on obtient une population qui correspondrait à la 12ème ville de France, subissant des brimades régulières.

Qu’en conclure ?

Ces nombres en eux-mêmes sont effarants. Plus effarant encore le fait que, malgré les dispositifs mis en place par l’institution, le harcèlement ne baisse pas mais augmente. Depuis une olympiade, des campagnes de sensibilisation sont mises en place, qui préconisent, face à une situation de harcèlement,  de « parler à un adulte » , ou d’« intervenir en tant que témoin ». L’intention est louable ; l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pour aucune maladie, on ne se contenterait d’une vaccination aussi inefficace, et il est probable qu’on y renoncerait. Si prévenir les élèves que « le harcèlement c’est mal » était nécessaire, admettons que cela est fait par l’État et son Ministère depuis toutes ces années. Cette règle morale est sue des élèves depuis plus longtemps encore si l’on considère l’éducation donnée à la maison, dans la plupart des familles, et l’instruction inculquée par l’école : dès la maternelle, les enfants savent que taper, insulter, bousculer, cracher sur, prendre les affaires de, bref, être « méchant » avec son camarade lui fait du mal et constitue une contravention aux règles du vivre-ensemble. Voilà d’ailleurs pourquoi le harcèlement se fait en cachette des adultes. Dans la majeure partie des cas, les membres de l’équipe éducative ne voient pas les scènes,  ignorent ce qui se passe dans tel recoin du préau, ou aux toilettes, et il est souvent injuste de leur reprocher de « n’avoir rien fait » pour que la situation s’améliore.

La prévention ne suffit pas.

Si elle l’était, les chiffres seraient tout autres. Jusqu’à présent, on pouvait, charitablement, considérer que si le nombre de faits de harcèlement se maintenait, c’était une preuve qu’ « en parler » avait un effet. L’enquête PISA, transnationale et en cela insoupçonnable, annonce une progression des chiffres, une augmentation des cas de harcèlement.

Et pour tout dire, nous ne sommes pas si étonnés, chez Chagrin scolaire. Les élèves qui viennent consulter depuis dix ans, pour trouver une solution, nous racontent comment se mettent en place ces interactions, à quel point toutes les interventions moralisatrices ont été inefficaces, voire aggravantes, à quel degré de lassitude, de résignation voire de désespoir ils sont rendus puisqu’on ne leur propose pas de solution :  ce qui est préconisé et mis en place dans les établissements est une méthode, dont on attend la validation scientifique,  qui mise sur le bon vouloir du harceleur. Une fois repéré ou dénoncé, celui-ci est convoqué pour chercher une solution à un harcèlement dont – fort heureusement – on ne l’accuse pas directement mais dont les adultes savent qu’il est l’instigateur. La manœuvre repose sur l’espoir que sa conscience morale subtilement éveillée par l’écho l’amènera à redevenir la bonne personne qu’il est sûrement par ailleurs. Car la méchanceté intrinsèque n’est pas le problème : personne n’est voué à devenir harceleur ; tout le monde pourrait l’être. Ce qui se joue dans un harcèlement est une mécanique relationnelle. Et c’est une bonne nouvelle : on ne peut pas changer les personnes mais on sait modifier les relations. Le modèle de Palo Alto, intrinsèquement résolutoire dans toutes les problématiques,   permet de le faire. C’est pour cela que nombre d’enseignants, de CPE, d’infirmières scolaires et autres membres des équipes éducatives se forment à cette réponse efficace. En dehors de l’institution.


[1] Chiffre arrondi à la centaine inférieure

[2] C’est nous qui soulignons.