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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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« Tais-toi le boudin » 8 mars et sexisme ordinaire

Chaque année le 8 mars, beaucoup d’enseignes offrent des réductions sur les fleurs, la lingerie, les fers à repasser. Parce que le 8 mars, c’est la journée de la femme.

Chaque année le 8 mars, les féministes rappellent que cette journée est avant tout un moyen de commémorer les luttes pour l’égalité entre les femmes et les hommes, et pour rappeler qu’il reste du chemin à parcourir avant que le sexisme ne fasse plus de victimes. Parce que le 8 mars, la Journée Internationale de Lutte pour les Droits des Femmes.

Cette année pour le 8 mars, nous avons voulu célébrer les filles d’aujourd’hui, qui, à leur échelle, à leur manière, seules ou avec de l’aide, se battent contre le sexisme ordinaire qui veut leur mettre des bâtons dans les roues.

Découvrez l’histoire de Lou, 12 ans, qui a refusé de se taire face au sexisme ordinaire.

Tais toi le boudin

C’était il y a un an, j’étais en colonie, j’avais 12 ans. Le thème, c’était le théâtre.

J’étais déjà un peu comme maintenant, je n’avais pas ma langue dans ma poche et j’intervenais beaucoup pendant les débats, que ce soit au collège ou en colo. C’est ce que ma mère m’a toujours dit : « Laisse pas parler les autres à ta place. »

À cette époque, j’étais comme je suis maintenant physiquement : cheveux très courts, pas de maquillage et des T-shirts avec des ours essentiellement, pour bien montrer qu’il faut éviter de trop m’énerver. Des fois, je mets une veste de costard par-dessus, et franchement j’ai trop la classe, mais bon, là, on était en colo, j’allais pas non plus me mettre en tenue de gala.

Un soir, il y avait un débat sur l’immigration qui était assez chaud et où les autres disaient n’importe quoi. Enfin, je pense qu’ils répétaient ce que disaient leurs parents à table le dimanche, parce qu’on aurait carrément dit des vieillards qui parlaient, genre 40 ans.

Bref, j’étais assez excitée et je levais la main hyper souvent pour que le mono me laisse parler, et à un moment, juste avant que je prenne la parole pour la troisième fois, un mec de l’assemblée, Corentin, genre beau gosse qui se la pète, a dit assez fort : « Comment on peut oser autant prendre la parole quand on est aussi boudin ? » Et là, tout le groupe dans lequel on était, lui et moi, a rigolé. J’ai même entendu une fille qui disait : « J’avoue. »

Sur le coup, ça m’a sciée. Autant ce qu’a dit Corentin que ce qu’a ajouté la fille.

Ça m’a fait comme deux coups de poing dans le ventre tellement forts que je n’arrivais plus à parler. Je trouvais ça hyper macho comme phrase, mais surtout, ce qui était horrible, c’est que ça m’interdisait de répondre. Vu que j’étais boudin. Donc que je n’avais pas droit à la parole. Du point de vue du beau gosse et aussi de celui de la fille. Qui aurait dû, de mon point de vue à moi, prendre ma défense. Mais bon, à ce moment-là, je ne pouvais même pas réfléchir, j’étais juste comme assommée.

Le mono avait rien entendu, alors il a juste dit : « Eh ben quoi, Lou, tu as perdu ta langue ? Dis donc ça va nous faire des vacances… »

Franchement, son humour à deux balles, ça m’a pas vraiment aidée. Je sentais que je devenais toute rouge et que les larmes commençaient à monter et je me répétais surtout : « Ne pleure pas à cause de ce mec, ne pleure pas à cause de ce mec… » J’ai marmonné une excuse et j’ai quitté le débat avant que mes larmes coulent, mais, franchement c’était moins une.

Quand j’ai recommencé à pouvoir réfléchir, je me suis demandé comment je pouvais faire pour faire regretter son attitude à Corentin. J’avais une semaine avant la fin de la colo et le spectacle de clôture. C’était un spectacle où on devait faire une prestation, collective ou individuelle, sur un texte écrit par nous-mêmes.

J’ai passé la semaine à travailler dessus.

Et au bout du compte, j’ai écrit et dit en slam le texte suivant, que j’ai dédié à Corentin en prenant un air amoureux pour qu’il tombe bien de sa chaise.

Démocratie

Qui, finalement, a le droit de parler,

En dehors des machos au cerveau desséché ?

Qui, finalement, peut vraiment s’exprimer,

À part les misogynes à moitié décérébrés ?

 

T’es trop moche, trop boudin, ferme ta bouche.

D’ailleurs, même si t’es jolie, tu dois la fermer aussi.

 

Qui, finalement, a le droit d’insulter,

En dehors des pauvres mecs au cœur peroxydé ?

Qui, finalement, peut toutes nous humilier,

À part de petits hommes au mépris bien huilé ?

 

T’es trop moche, trop boudin, ferme ta bouche.

D’ailleurs, même si t’es jolie, tu dois la fermer aussi.

 

Qui, finalement, a eu droit à sa chanson

Avec un beau refrain qui reprend ses mots de con ?

Cherchez-le, il est là, et il a les yeux tout ronds

Parce qu’une moche a parlé alors qu’il avait dit non.

 

T’es trop bête, trop macho, ferme ta bouche.

Ou alors si tu parles, j’ai le droit d’parler aussi.

Franc succès ! Notamment chez les filles (j’avais prévenu, c’est vrai, quelques-unes de mes amies, qui m’ont fait une standing ovation). Ça m’a rassurée sur l’existence de la solidarité féminine, qui en avait pris un sacré coup.

Corentin est venu me voir juste après. Il m’a dit : « Je suis désolé, je te présente mes excuses. » Je les ai refusées. Les animateurs sont venus me voir aussi. Ils m’ont demandé pourquoi je ne leur avais rien dit et ajouté : « Si on avait su, on serait intervenu pour te défendre, Lou. » J’ai répondu :

« C’est à moi de me faire respecter. Personne ne peut le faire à ma place. »

 

L’histoire de Lou est extraite de Je me défends du sexisme, d’Emmanuelle Piquet, illustré par Lisa Mandel.