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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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#MoisSansTabac : Combattre une addiction ou comment mettre fin au plaisir

Le Mois Sans Tabac, c’est l’occasion pour tous les fumeurs de profiter du mois de novembre pour arrêter de fumer. Beaucoup de gens consultent tabacologues, médecins, acupuncteurs et hypnothérapeutes pour les accompagner dans cette décision difficile. Est-ce-que la thérapie brève peut aider ?

Combattre une addiction, une thérapie comme une autre ?

On nous demande souvent si la thérapie brève peut résoudre tous les problèmes. Puisque notre façon de voir les choses repose sur une théorie systémique et constructiviste et que les thérapeutes brefs voient les problèmes humains en cercles vicieux et tentatives de régulations infructueuses,  plutôt qu’en maladie ou diagnostic, la réponse est « oui ». Il y a un champ cependant où la thérapie brève a plus de difficulté. La base de notre métier est de trouver la souffrance de nos patients, de comprendre ce qui l’alimente et de trouver une tâche, un exercice, réalisable par le patient, qui les fasse arrêter ce qui cristallise leur situation. Souvent, la motivation pour notre patient à faire ce qu’on lui conseille est de faire diminuer une peur, une colère, une tristesse, une angoisse ou autres émotions labellisées « négatives » (bien que très utiles pour la survie de l’humanité). Mais il est un type de souffrance qui ne dépend pas que d’émotions négatives : les addictions.

Alcoolisme, tabac, cannabis, nourriture, certains ajouteraient shopping, écrans, sport, pornographie… Autant d’addictions qui peuvent amener des gens, plus ou moins culpabilisés, voire carrément traînés par leurs parents/femme/mari, dans nos cabinets.
Ils sont alors deux catégories : d’une part, et ce sont finalement les plus simples à traiter, ceux qui n’ont aucune envie d’être là, vivent plutôt bien leur addiction, et espèrent surtout que suivre quelques séances permettent de dire à leurs parents/femme/mari susnommé « J’ai essayé, ça n’a pas marché, maintenant laisse(z)-moi tranquille ». Il est alors conseillé de demander à la personne en quoi elle aurait besoin d’aide, et de l’accompagner sur ce qu’il ou elle aura décidé, plutôt que de s’échiner à mener quelqu’un sur la voie d’un changement non-souhaité (ce qui s’avère toujours un échec quoiqu’il en soit). Une autre solution est de proposer à la personne cliente d’un changement (donc celle qui traine l’autre par les cheveux si on suit bien), de l’aider à mieux vivre cette situation d’addiction, puisque la personne addict n’a pas l’air d’être prête à faire les efforts nécessaires pour changer.
D’autre part, ceux qui veulent vraiment que ça s’arrête, qui ont l’impression d’avoir tout essayé mais qui retombent systématiquement dans leur addiction. Ceux-là sont clients d’un changement. Tout comme on ne peut calquer une solutions sur tous les problèmes qui se ressemblent, il faut traiter chaque addiction dans son unicité. On peut cependant noter, que le problème des addictions, c’est que l’émotion qu’il faut faire diminuer pour enrayer le cercles vicieux, c’est souvent le plaisir. Si les périodes qui entourent l’acte peuvent être inconfortables (frustration, peur de ne pas tenir avant, culpabilité, honte, tristesse après), le moment où l’on assouvit le désir et donc le plaisir auquel l’on est addict, (entendre ici, la cigarette, le verre de vin, la tablette de chocolat, le joint…) est un moment auquel il faut renoncer. Contrairement à d’autres problèmes qui impliquent de renoncer à un but, à une idée, on doit ici renoncer à quelque chose qui nous procure une sensation de bien-être qui surpasse les effets négatifs du avant et du après. Et c’est pour ça que c’est si dur de s’arrêter.

Etude de cas : Aurélie, 25 ans

Prenons au hasard Aurélie, 25 ans, qui fume depuis 8 ans. Elle a essayé d’arrêter trois fois en moins d’un an, tentatives qui se sont avérées être des échecs cinglants, faute de quoi, elle ne serait pas là. Calendrier imprimé au dessus de son lit avec phrases de motivation, récompense à chaque paquet économisé, recherche (avec image) sur le cancer du poumon à chaque fois qu’elle allumait une cigarette, une semaine enfermée chez soi pour ne pas croiser ses amis fumeurs, suivi médical avec patch de nicotine, et, le dernier en date, hypnothérapie, qui a si bien marché pour sa mère et sa meilleure amie, mais qui lui a permis de tenir 4 jours, ce qui en plus d’être médiocre, la laisse avec l’amère impression d’être un cas désespéré. Ce n’est pas comme si elle manquait de motivation : elle voit les effets sur sa peau, ses cheveux, ses dents, elle sent l’odeur de tabac froid de son salon et de ses vêtements, ancienne sportive, elle se rend compte que reprendre le sport est tout bonnement impossible tant qu’elle n’aura pas arrêté de fumer son demi-paquet par jour.

Aurélie quand elle arrive au 3ème étage, une allégorie.

Mais c’est plus fort qu’elle, si on lui tend une clope elle sait qu’elle finira par craquer, parce qu’elle aime trop ça. Alors le Mois Sans Tabac, elle est pour, elle a envie d’y (re)participer, mais elle sent bien que les messages positifs n’ont déjà pas marché, et elle a peur d’échouer encore, ce qui la met à chaque fois dans un état de culpabilité et de honte qu’elle ne peut plus supporter. En somme elle est prête à tout pour arrêter quand elle arrive dans le cabinet.

« Pour pouvoir vous aider Aurélie, il faut que je comprenne bien l’intégralité du problème quand il se présente. En temps normal, vous fumez une cigarette toutes les heures en fin de journée si j’ai bien compris ?
– Oui, je commence souvent à fumer en fin d’après-midi mais même si je commence plus tard je fume autant, elles seront juste rapprochées. Mais alors le pire c’est les soirées, j’ai la clope extrêmement sociale. Je n’aime pas particulièrement les soirées donc je passe des heures au coin fumeur, c’est cool ça me permet de profiter de tout le monde en petit comité et de pouvoir discuter avec tout le monde. Le problème c’est que quand il y en a un qui part, un autre arrive, s’allume une clope, m’en propose une, du coup je les enchaine !
– Ah oui c’est embêtant. Et ça peut aller jusqu’à combien ?
– La dernière fois je me suis rendue compte que je peux en enchaîner 4 avant d’en refuser une. Et quand je dis « enchaîner », je parle vraiment de rallumer une cigarette avec celle que je n’ai pas encore éteinte. Et des fois c’est 4 avec la même personne. Je m’arrête sur le moment mais souvent 30min après j’en reveux une. Je n’ai aucune volonté.
-Donc si je résume bien, en temps normal vous arrivez assez bien à ne pas fumer, mais il suffit d’une soirée pour que vous recommenciez ?
– Oui, souvent je m’en autorise une, en me disant que ça va, mais je finis toujours par acheter un paquet, et à me dire le lendemain que quitte à en avoir un autant le finir et là c’est reparti. En plus souvent ça fait plusieurs jours que j’ai arrêté, donc j’ai cette toux atroce des poumons qui se nettoient, ces cigarettes me font à peine plaisir, mais je ne peux pas m’en empêcher.
– Donc vous passez de « Je ne dois pas fumer » à « foutu pour foutu, autant fumer le paquet » ? C’est presque comme si le simple fait de vous interdire de fumer faisait que vous fumiez encore plus à la soirée d’après..
– Oui en gros c’est ça. et je ne vois pas comment en sortir. »

En formation, tous les thérapeutes brefs ont entendu à un moment ou un autre que les patients qui ont l’impression d’avoir tout essayé sont prêts à tout pour aller mieux, sauf à faire ce qu’on va leur demander. Parce que faire l’exact opposé de ce qu’on a essayé jusque là semble aberrant. Parce qu’on a peur que ça empire le problème. C’est particulièrement vrai avec les addictions. Il n’est donc pas rare que l’on cache le 180° (à l’inverse du cercle vicieux) dans une tâche plus logique pour le patient.

« Je vais vous demander quelque chose d’extrêmement bizarre, mais absolument nécessaire pour pouvoir vous aider. Pour l’instant, même si je commence à avoir une idée grâce à vos précieuses observations, je ne suis pas sûre d’avoir compris en profondeur le fonctionnement de votre addiction. J’aurais besoin d’observations approfondies. Combien de cigarettes pensez-vous pouvoir fumer avant d’atteindre votre limite ?
– Déjà à 4 je commence à être mal, donc si je me forçais je pourrais peut-être arriver à 6 ? Mais donc je continue à fumer ?
– Non vous allez essayer d’arrêter, puisque ça marche dans la vie de tous les jours, mais à partir du moment où vous avez décidé d’arrêter, à la prochaine soirée, vous faites comme d’habitude, mais au moment où vous craquez, vous enchaînez 7 cigarettes. Vous allumez la première, vous en profitez bien, puis vous allumez la deuxième avant d’éteindre le mégot, et ainsi de suite jusqu’à ce que vous éteigniez la 7ème.
– Et après je fume plus de la soirée ?
– Non à chaque fois que vous allumez une cigarette vous en enchaînez 7.
– Mais 7 cigarettes c’est très mauvais pour la santé ! En plus si j’en allume une 8ème je dois en fumer 14 !
– Pas plus que les 8 derniers années où vous les fumiez en une journée. Mais ne vous inquiétez pas c’est seulement jusqu’à notre prochain rendez-vous. Je sais que ça peut vous paraître bizarre, mais j’ai vraiment besoin de comprendre comment se comporte votre addiction en milieu autonome pour pouvoir la mater au mieux. Donc ne vous mettez pas la pression, c’est normal si vous fumez entre nos deux rendez-vous. »

Aurélie au coin fumeur à sa prochaine soirée, une allégorie.

Deux options : soit Aurélie quitte le cabinet en se disant qu’elle ne remettra jamais les pieds dans cette maison de fous, soit elle tente. Dans ce cas-là, elle a tenté.

3 jours.

« J’ai eu beaucoup de mal à me lancer. Je me suis racheté un paquet en sortant de chez vous en disant que j’essaierai plus tard. Je sais pas pourquoi j’ai repoussé comme ça, c’est comme si j’avais peur que ça marche. Puis quand j’ai terminé le paquet, j’ai allumé la dernière en décidant que ce serait la dernière. J’ai tenu 3 jours, avant la soirée suivante.
– Bien, ça va nous donner un peu de matériel à étudier.
– Pas tant que ça au final. J’en ai allumé une, et à la 5ème j’ai cru que j’allais vomir, j’ai pas pu la finir.
– C’est dommage, maintenant on n’a rien à observer. La fois d’après vous en avez fumé 7 ?
– Il n’y a pas eu de fois d’après. J’ai voulu m’en allumer une, en me disant que votre truc me saoulait et que si je voulais en fumer qu’une vous le sauriez jamais, mais avant même de l’allumer je me suis imaginée fumer les 6 derrière et ça m’a juste donné envie de pleurer. Du coup je l’ai offerte à mon pote et j’ai distribué les autres toute la soirée.
-Je suis déçue Aurélie, continuez comme ça, mais cette fois faites l’exercice pour de vrai, on ne va pas s’en sortir sinon ! »

Aurélie quitte le cabinet, sans être dupe de ces remontrances, mais en promettant de bien fumer 7 cigarettes si elle devait en refumer une.

 

Mais alors, est-ce-que faire le Mois Sans Tabac est inutile ?

Non, plein de gens arrivent à arrêter en suivant les conseils du Mois Sans Tabac et c’est tant mieux ! Mais ces gens-là n’ont pas besoin de l’aide d’un thérapeute pour y arriver et ne viennent donc pas nous voir. Notre métier consiste à trouver ce que les gens font et ne marche pas, et de leur faire faire l’inverse. Si ce que vous faites marche, pourquoi voulez-vous arrêter ? Si vous avez la volonté de le faire, faites-le ! Toutes les infos, encouragements et kit de soutien sont à trouver sur le site dédié.

Mais alors, la thérapie brève ça marche pour les addictions ou pas ?

Oui, quand la tâche est faite. Si Aurélie était revenue en ayant fumé cette cigarette sans essayer de la faire suivre des 6 autres, elle aurait très certainement fumé toute la soirée, puis serait revenue en expliquant que ça n’avait pas marché. Mais parce qu’elle a décidé de le faire, elle a vécu l’expérience émotionnelle correctrice qui a fait que ce n’est plus son cerveau qui disait « ne fume pas » et son corps qui en crevait d’envie, mais son cerveau qui disait « fume 7 cigarettes maintenant » et son corps qui refuse. Ce qui est l’opposé de ce qu’il se passait jusque là. Malheureusement, pour vivre cette expérience émotionnelle correctrice, il faut faire l’exercice, et tout dépend à la fois de la volonté du patient et de la capacité du thérapeute à rendre la tâche logique. Par exemple, la légende dit que cette tâche a été donnée par une thérapeute qui sait pertinemment quoi faire pour arrêter de fumer (ce qu’elle essaie régulièrement), mais qui n’a jamais accepté de se l’appliquer à soi-même. Mais c’est une légende.

 

Amélie Devaux