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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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« Marion 13 ans pour toujours » : ce soir sur France 3

En 2015, un livre paraissait, écrit par Nora Fraisse. Cette maman y racontait le calvaire de sa fille harcelée, qui s’est suicidée en 2013. Pour la première fois, le public prend de plein fouet ce que fait le harcèlement en milieu scolaire. Oui le harcèlement tue, détruit des familles.

La semaine dernière, des membres de l’équipe Chagrin Scolaire ont pu assister à l’avant première de l’adaptation de ce livre, qui passera ce soir sur France 3. Un film qui retourne les tripes, qui montre la douleur d’une famille déchirée, d’une adolescente qui n’en peut plus et d’une mère qui, plus que tout, veut comprendre. Le casting est excellent, Julie Gayet nous fait monter les larmes aux yeux dès les premières minutes, Luàna Bajrami, qui interprète Marion, est époustouflante. Ces éléments en font déjà un film extrêmement touchant, mais là où il est encore plus puissant, c’est qu’il est très réaliste dans ce qu’il montre du mécanisme du harcèlement scolaire.

On décrypte, et attention, on spoile !

Le harcèlement scolaire agit comme la peste :

Au début du film, on voit que Marion, devenue souffre douleur d’un groupe plus populaire, se retrouve complètement isolée. Sa meilleure amie s’éloigne d’elle, prend le parti de sa harceleuse et l’ignore quand elle la croise. Tout le monde sait ce que Marion subit, personne n’intervient. Son petit ami tente de la défendre à plusieurs reprises mais abandonne toujours rapidement face aux menaces. Tout le monde savait et personne n’a rien fait, comme le découvre sa maman sur Facebook.
Parce que s’approcher d’un enfant harcelé, c’est prendre le risque d’être attaqué à son tour. On demande souvent pourquoi les enfants témoins n’interviennent pas, même quand ils savent que ce qu’il se passe n’est pas acceptable. C’est parce qu’ils ont peur. Parce qu’ils n’ont rien à gagner et tout à perdre en intervenant. Parce que jouer les héros ça attire la sympathie des professeurs, et qu’à cet âge là, on se fiche de la sympathie des professeurs.

Et les profs dans tout ça ?

Cette partie semble à la fois légèrement caricaturale et en même temps met le doigt sur quelque chose d’important. Nous n’entrerons pas dans le débat de savoir si ceux de Marion auraient pu mieux gérer ou pas. Dans la version de Marion Fraisse ils ont été pire qu’incapables : le personnage du directeur est détestable, n’a aucune empathie pour la famille après le décès de Marion et les professeurs montre à peine un peu de remords.
Et c’est malheureusement l’image générale que l’on a du corps enseignant quand l’on parle de harcèlement. Or, en dehors du film et du cas de Marion, il y a une chose évidente : les professeurs sont démunis. Ils ne savent pas faire. Prof, c’est le seul métier où l’on doit savoir être enseignant, flic, juge, psy, maman et médiateur, en étant à peine formé au premier. S’attendre à ce qu’il sache gérer des cas de harcèlement, alors que c’est un métier à part entière, semble au mieux illusoire, au pire absurde. Si les enfants ne veulent pas se faire attraper, ils ne se feront pas attraper, et si on arrive à les « choper », ils trouveront un moyen d’être plus discret. Comme le disait l’une de nos patientes : « Lundi il reviendra de son conseil de discipline, ça va être encore pire ». Si les enfants, et surtout les adolescents, ne veulent pas qu’on sache, on ne saura pas.

Pourquoi elle n’a rien dit ?

C’est sans doute la question la plus importante et la plus douloureuse de ce film. On voit cette famille aimante, cette jeune fille qui a des parents à l’écoute, avec qui elle s’entend bien, et pourtant, elle ne dit rien. Elle ment, elle dissimule. Est-ce-qu’elle n’a rien dit pour protéger ses parents ? Parce qu’elle avait peur qu’ils n’empirent la situation ? Parce qu’elle avait honte ? On ne sait pas, il n’y a aucun moyen de savoir. C’est sans doute là que le film est le plus fort, dans ce qu’il montre des capacités de dissimulation d’une enfant qui ne veut pas qu’on sache, et à qui on pose pourtant des questions, qui grandit dans un environnement de confiance où elle aurait pu tout dire. Mais elle ne dit rien.
Nos patients nous disent souvent qu’ils n’en parlent pas aux adultes parce que leur intervention empire souvent la situation. Il faut l’admettre, ils connaissent mieux les règles de la cour de récré que nous, et ont souvent raison. Le seul moyen que l’on a trouvé pour faire parler (presque systématiquement) des enfants qui refusent, c’est de leur jurer qu’on ne fera rien s’ils ne sont pas d’accord, et qu’on privilégiera toujours l’intervention de l’enfant lui-même plutôt que celle d’un adulte. Parce qu’avec les bons outils, les enfants sont capables de s’en sortir eux-mêmes.

Ce film montre l’impuissance. Des parents, des enseignants, des enfants. On est sorti de cette séance avec la conviction que nous devions continuer à rendre le pouvoir à ceux qui peuvent mettre fin au cercle vicieux : les enfants harcelés.

« Marion, 13 ans pour toujours » sera diffusé ce soir, mardi 27 septembre à 20h55 sur France 3.