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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Le profil de harceleur

Depuis la rentrée, nous recevons au cabinet des enfants qui redoutent que le harcèlement dont ils étaient victimes avant les vacances ne reprenne. Il est en effet possible de se préparer à affronter de nouveau la brute ou le truand qui a maltraité le blondinet qui est assis en face de nous, à condition que la situation soit demeurée identique, ce qui n’est pas du tout certain. C’est que l’on change, en deux mois de vacances, et anticiper qui peut faire quoi relève de la sorcellerie !  Nous pouvons aussi imaginer les inventions nouvelles que pourrait mettre en œuvre un harceleur connu ou supposé, mais pointer qui sera le harceleur parmi les élèves, en se fiant à une apparence physique ou à une histoire personnelle, semble très hasardeux. Nous ne pensons pas que les harceleurs le soient par vice congénital ni ne le deviennent, comme on tombe malade après avoir été exposé à quelque agent délétère. Comme l’explique très clairement Emmanuelle PIQUET dans son tout récent ouvrage, Le Harcèlement scolaire en 100 questions[1], « Nous considérons pour notre part la situation de façon plus relationnelle que personnelle. Selon les observations rapportées par nos patients harcelés, le harceleur est plus obsédé par sa popularité propre que par une quelconque volonté de nuire. »

A ce propos, m’est revenu l’histoire de Sam et Eddy.

Sam est en 6ème et il a de plus en plus de mal à se rendre au collège, il a mal au ventre la veille des jours de classe et pleure parfois en rentrant chez lui.

Quand je le rencontre, Sam m’explique qu’il est quotidiennement insulté, bousculé, molesté par Eddy et ses sbires, Joseph et Bilal. Ces attaques, violentes, se produisent quotidiennement, Sam redoute par-dessus tout de tomber dans une embuscade et imagine le pire :  pris à partie par le grand frère d’Eddy et ses copains, il pourrait être jeté à terre, frappé sans que personne n’intervienne ; il recevrait des coups violents, dans le ventre, jusqu’à faire éclater sa rate et mourir dans l’ambulance, en se disant que c’est bien jeune, 11 ans, pour mourir. Nous convenons que ce serait une issue épouvantable, mais que fuir ne semble pas calmer le terrifiant Eddy. Sam accepte de réfléchir au fait que l’affronter comporte des risques, que lui seul peut décider de le faire ou non. Il lui est demandé, en attendant qu’il décide de se défendre ou non, d’observer dans quelles circonstances précises Eddy l’agresse, notamment quelles personnes sont systématiquement présentes. Il s’agit pour moi de bien identifier le public qu’Eddy juge indispensable pour que le harcèlement se fasse, celui qu’il sera nécessaire de réunir pour que la riposte éventuelle de Sam fasse mouche : Joseph et Bilal sont-ils les seuls à compter ?

Dix jours plus tard, Sam revient, il a moins peur et sa posture a changé : il répond à Eddy qu’il n’évite plus. Cependant, on ne saurait dire que la situation se soit améliorée. Il s’est même produit un fait grave : Sam, en sortant de cours d’espagnol, accompagné de Maud, sa meilleure amie, avait opté pour le bout du couloir le plus éloigné du bâtiment 3, et de ce fait, le moins fréquenté par les élèves. Eddy et ses copains l’ont suivi, bloqué contre la rembarde, puis ont baissé son pantalon dans l’escalier. L’humiliation fut totale, bien que Maud, indignée, n’ait pas ri.

Quand on lui demande si Maud est son amoureuse, Sam affirme que non, mais explique qu’elle était celle d’Eddy, avant qu’elle ne veuille plus sortir avec lui, ce qu’Eddy a bien du mal à accepter. C’est depuis qu’il n’est plus le copain de Sam, qu’il les surveille, guette leurs échanges, tente d’écouter ce qu’ils se disent. Comment Sam le sait-il ? Très simplement parce que Sam vérifie sans cesse où se trouve son agresseur, et qu’Eddy, quand il les espionne, se cache du mieux qu’il peut derrière la colonne du préau. Il se met de profil. Mais son sac à dos dépasse, comme une carapace.

Nous avons mis en place avec Sam une stratégie impliquant Maud, toute prête à jouer son rôle ; la prochaine fois que le sac-carapace d’Eddy prouverait qu’il cherche à les entendre, elle devrait dire : « Plus Eddy te fait du mal, plus je t’admire » et Sam répondrait alors : « C’est bête qu’il soit devenu méchant, il était sympa, avant. »

Maud fut enthousiaste. Sam et elle répétèrent leurs répliques avec le soin consciencieux de pensionnaires de la Comédie Française, sans plus avoir le temps de vérifier ce que faisait Eddy, mais jamais ils n’ont eu l’occasion de jouer. Etrangement, raconte Sam qui ne comprend pas pourquoi, Eddy est « redevenu sympa ».

Voilà qui pourrait sembler contredire ce qu’écrit E. PIQUET (cf. supra) : on pourrait se dire qu’Eddy cherchait à nuire à Sam plus qu’à asseoir sa popularité.

Sans doute, mais c’était pour récupérer l’admiration d’une belle qu’Eddy est devenu violent envers Sam (car il l’était, indéniablement), non par « nature » ou par « vice ». Le changement radical de posture de Sam et de Maud (ne plus surveiller ses arrières dans la crainte d’une attaque), rendu possible par l’absorbante mission de se préparer à jouer leur sketch dès que nécessaire, a permis dans ce cas qu’Eddy renonce à vouloir se distinguer aux yeux de Maud, Maud dont les regards étaient tournés vers une autre partie de la scène : pourquoi rester dans les coulisses quand l’action se passe sur le plateau ?

 

Muriel Martin-Chabert

 

[1] Emmanuelle PIQUET, Le Harcèlement scolaire en 100 questions, éditions Tallandier (2017), p.62