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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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La Vie Scolaire : un film qui parle de l’école et de la confiance en soi

Une dame est assise au bureau devant le tableau – le spectateur reconnaît immédiatement une salle de classe – , des dossiers sont posés devant elle : on comprend qu’elle est Principale d’un collège. Elle réclame l’attention de l’assistance dissipée et bavarde, que l’on suppose composée d’ados. Le contre-champ révèle que c’est la réunion de pré-rentrée des profs.  Ces enseignants sont plutôt jeunes et semblent contents de se retrouver comme les élèves qui aiment bien l’école peuvent l’être à la rentrée. 

« Il n’y a pas de raison que ça se passe mal »

C’est ainsi qu’en préambule cette cheffe d’établissement conjure le mauvais sort, avant de présenter la jeune femme assise à ses côtés : Samia, la nouvelle Conseillère Principale d’Éducation de cet établissement d’une cité de Seine-Saint-Denis, est l’héroïne du film La Vie Scolaire,  réalisé par Grand Corps Malade et Mehdi Idir. Le projet des auteurs du film était de montrer ce qu’est le collège aujourd’hui, en focalisant sur la CPE parce que ces professionnels sont en lien avec tous les acteurs du collège.

Ici, le niveau scolaire est faible,  la sélection et le regroupement des élèves en classe fait par le truchement des options. Quand on n’en a pas choisi, on est « sans option,  « SOP »,  comme tous les 3èmes de la classe de Yanis. Pour eux,  la Seconde générale est un horizon, une ligne qui s’éloigne quand on avance.

Adultes et adolescents du collège parlent le même langage – les répliques sont souvent drôles, parfois caustiques, d’où qu’elles fusent.  Les protagonistes viennent presque tous de ces « quartiers » dit « sensibles », de ces banlieues où l’éducation est dite prioritaire, où les familles sont souvent monoparentales et pour certaines, connaissent une grande précarité économique. Ici, des pères sont en prison et des amis, dealers. Moussa est surveillant au collège et « grand frère  » dans le quartier. La vie des uns et des autres est parfois si semblable… Les auteurs soulignent cette similitude,  notamment dans la scène des soirées parallèles que chaque groupe organise avant les vacances de Noël : qu’on soit élève ou membre de l’équipe éducative, de la même manière, on est un peu emprunté de se retrouver en dehors du collège, puis on parle et on mange, on s’enivre et on fume,  on danse, on se séduit…

L’effet Pygmalion

La différence vient ce que ceux qui travaillent au collège ont réussi leurs études et croient en ce qu’ils font. Aucun de ces profs ne renonce.

L’un décrète avec une raideur jamais abandonnée que ses exigences sont les mêmes pour tous et dans n’importe quel contexte, ce qui est perçu comme une injustice insupportable ; les relations qu’il entretient avec les élèves sont très difficiles, jusqu’à la rupture.

Le prof de musique, lui, s’enthousiasme avec une naïveté désarmante :  « On n’est pas tout à fait prêt, mais moi,  je suis confiant », affirme-t-il à la fin de la cacophonie aiguë dont semblent le punir les élèves contraints de souffler dans l’éternelle flûte en plastique laquelle requiert, il est vrai,  un talent surhumain pour produire un son harmonieux.

On peut lire cette scène comme un chahut,  d’ailleurs assez bon enfant, et l’hypothèse qu’il reste mesuré parce qu’il est permis par les consignes données nous semble très recevable. C’est la souplesse de l’enseignant qui permet que le système fonctionne : aucun élève, par exemple, ne refuse de souffler ni n’utilise sa flûte comme un instrument de percussion ni ne la jette. Le message en filigrane est :« Jouez ! »   En considérant la dissonance obtenue comme une étape de progrès, l’enseignant souligne que les élèves ont répondu à sa consigne, de quelque manière que ce soit, et donc que son autorité est respectée. La scène de fin d’année prouve d’ailleurs qu’il n’a jamais perdu la relation avec cette classe.

La confiance ne se décrète pas, mais se construit. On a confiance en qui ne nous trahit pas, et surtout on puise sa confiance en soi dans celui qui nous fait confiance. En 1968, deux scientifiques, Rosenthal et Jacobson, ont publié les résultats d’une expérience – connue sous le nom d’ « effet Pygmalion » – , au cours de laquelle 12 rats avaient été séparés arbitrairement en deux groupes, confiés chacun à six étudiants qui devaient observer leur capacité à sortir d’un labyrinthe après s’y être engagés. Le premier groupe d’étudiants avait reçu l’information selon laquelle son panel de rats était issu d’une sélection rigoureuse, basée sur les exceptionnelles compétences des animaux ; le second groupe avait appris que ses rats étaient particulièrement peu capables pour des raisons génétiques et qu’il était plus que probable qu’ils ne feraient aucune prouesse. Les résultats confirmèrent en tous points cette prédiction pourtant sans fondement. Certains rats désignés comme manquant de capacités ne tentèrent même pas d’entrer dans le labyrinthe. Au contraire de leurs congénères perçus comme intelligents, les rats dont on n’attendait que des contre-performances n’avaient pas été choyés ni même considérés comme dignes d’intérêt par leurs entraîneurs.

La même expérience, conduite ensuite sur un échantillon d’élèves, avait donnée des résultats similaires : les performances cognitives étaient supérieures chez les enfants pour lesquels on avait divulgué, par fausse inadvertance, des niveaux de QI élevés, ne correspondant pourtant à aucun test réel.

Les enseignants, et les parents bien sûr, le savent :  il est important de « croire »
en les compétences de son enfant pour l’aider à progresser. C’est ce que fait le prof de maths dans le film. Dans son cours, on voit s’éveiller l’intérêt de l’élève qui disait : « Les maths, c’était déjà compliqué quand c’était des chiffres, mais maintenant, en plus, vous mettez des lettres… ! » Un jour, alors qu’il est envoyé au tableau, cet élève donne une réponse juste et il en est le plus surpris.   Il ne faut pas plus que la confirmation de l’enseignant de l’exactitude de son travail pour qu’il décrète que « les maths, c’est facile ». Et, au fil des devoirs rendus, il progresse et chaque fois, triomphe avec tapage, encouragé, un peu ironiquement, par son professeur… à manifester sa satisfaction d’avoir trouvé le résultat du problème posé.

L’enseignant, qui ne manque pas de souligner en rendant les devoirs que les exercices sont résolus comme il se doit, jamais ne manifeste un enthousiasme débordant face aux réussites de cet élève. Comme s’il était logique de réussir l’exercice proposé à la classe. Parce qu’il est logique de réussir ce qui est proposé pour son niveau de classe.  Il croit vraiment possible la progression de l’élève. A contrario, s’extasier bruyamment devant la résolution d’une équation du premier degré par un jeune homme de 15 ans reviendrait à souligner qu’on doute de sa capacité à le faire et que la performance est inespérée. Voilà qui ne renforce pas la confiance que l’on peut avoir en soi…

Ne pas vouloir plus que lui

Pour certains, il est difficile de trouver un moteur. Le même professeur de maths rappelle à Samia la CPE, quand elle dit espérer en « sauver deux ou trois » de l’échec scolaire, que « parfois, le contexte est plus fort que nous“. Elle a repéré Yanis, un garçon vif et intelligent qui semble avoir baissé les bras : on le voit expliquer à son meilleur ami que « les profs ne donnent pas des trucs intéressants ». L’ami en question, déscolarisé, répond :  « C’est à toi de t’intéresser ».

Décider de s’intéresser, est-ce simplement possible ? Évidemment pas.  Et ce non pas seulement parce que le contexte dans lequel vit Yanis oppose des entraves. Il est simplement impossible de décider de ressentir quoi que ce soit : de l’intérêt, comme de l’affection. Exiger de quelqu’un qu’il soit joyeux, heureux, amoureux, intéressé est voué à un échec certain. Échec aggravé par un message sous-jacent bien douloureux à recevoir que l’on pourrait résumer par « Tu n’es pas adéquat ». Daniel Pennac le disait déjà : « Certains verbes ne se conjuguent pas à l’impératif, « aimer » en est un».  Quelque soit l’objet de cette affection…

Emmanuelle Piquet vient de publier « Je combats ce qui m’empêche d’apprendre », un ouvrage qu’elle décrit comme un « manuel de combat » à l’usage des enfants, des parents comme des enseignants. Dans cet ouvrage, on apprend, par exemple, comment Alphonse qui avait renoncé à se mettre au travail, malgré les capacités que lui reconnaissait sa bienveillante enseignante, a pu changer radicalement de posture et se remettre dans la voie des apprentissages. Comme ce jeune Alphonse, Yanis, dans La Vie scolaire, est envahi par une certitude : « De toutes façons, c’est trop tard. »  Tout au long du film, on assiste aux efforts de Samia pour le convaincre de l’inverse. La thérapeute d’Alphonse lui avait proposé de réfléchir à l’alternative qui s’offrait à lui : renoncer définitivement à se mettre à l’étude, et redoubler comme l’envisageait la directrice ; ou bien, tenter de rattraper son retard en demandant de l’aide à, son enseignante, sans appuyer l’une des deux voies qui avaient chacune leurs risques et inconvénients. Ce choix lui appartenait pleinement, en connaissance de cause.

Yanis, le personnage du film, est dans la même situation : comme Samia, tous les profs le lui disent et répètent : « il faut s’y mettre, il peut le faire, sans quoi il risque de gâcher son avenir. »  Tous veulent la réussite scolaire de Yanis. Mais, si lui ne fait pas partie de l’équipe, rien ne se fera. La grande bienveillance des adultes leur fait proposer une alternative, mais dont ils ont décrété au préalable quelle est la bonne branche, celle qu’il doit préférer. C’est un choix qui donc, n’en est plus un. Le risque, quand on « coache » son enfant, son élève, est, que l’on prenne le départ de la course plus vite qui lui ou qu’on s’élance seul, que le jeune reste en deçà de la ligne de départ, de la même façon que les sujets peu considérés dans l’expérience de « l’effet Pygmalion ». Ce n’est pas paradoxal : inciter de manière pressante l’élève à travailler ou ne pas s’en occuper le renvoie dans les deux cas à une profonde inquiétude ou résignation quant à ses capacités. Pour que son enfant prenne son envol, il importe qu’il puise dans ses ressources, qu’il est, par conséquent,  la certitude d’en avoir – c’est cela la confiance en soi – et qu’il ressente l’estime de ceux qui l’accompagnent.

Il est vrai que le risque, quand on pose une alternative à un élève qui n’est pas ou plus dans les apprentissages est aussi qu’il choisisse la « mauvaise » voie, selon les critères des adultes, et il importe de s’y préparer, qu’on soit prof ou parent. Les thérapeutes qui exercent selon le modèle de Palo Alto le savent :  l’apaisement pour qui peinait à prendre une décision ne provient pas de la certitude d’avoir fait le bon choix, mais d’avoir choisi ; ce qui fait souffrir, c’est l’oscillation. C’est un chemin douloureux, que de faire confiance pour les parents qui redoutent, en ne prenant plus en charge leur enfant, de l’abandonner. Or, le contraire de « prendre en charge » n’est pas « laisser tomber », mais « prendre soin », ce qui a tant manqué aux cobayes finalement découragés par le labyrinthe.