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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Faire fi de l’étiquette

Pour les mêmes raisons que, dans notre pratique de la thérapie brève systémique et stratégique, nous nous méfions des « protocoles » de traitement, nous n’aimons que très peu les étiquettes apposées sur nos patients.

Être ou avoir

Une étiquette sert à prévenir, à décrire, à définir. Le risque est de transformer « avoir » en « être ». On entend encore, dans quelques hôpitaux ou cliniques, ces abus de langage à base de négligence métonymique qui font que l’on nomme un patient par sa pathologie : on devient alors une appendicite ou une prothèse du genou. Quelle destinée !

Dans nos centres, nous recevons des patients étiquetés. Tel petit garçon se présente ainsi : « Bonjour, je m’appelle Hector. Moi, je suis dys ». Nous connaissons bien une thérapeute qui n’hésitera jamais à glisser alors en recadrage : « Bonjour Hector ! Moi, je suis grosse ». Se définir par une caractéristique transitoire et/ou modifiable peut prêter à sourire mais il ne s’agit évidemment pas de nier la réalité d’une difficulté. Des personnes souffrent en effet de « déficit durable et significatif du langage écrit qui ne s’accompagne pas d’une cause évidente ». Est-ce toujours une pathologie ? On pourrait le croire, puisque nous voyons arriver des mamans attentives et aimantes qui se sont décarcassées pour obtenir que leur enfant bénéficie de l’aide de ses personnes naguère appelées « Auxiliaires de Vie Scolaire », que l’on nomme aujourd’hui « Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap » (AESH) lesquelles ont toujours pour mission « d’aider l’enfant en situation de handicap » et de « l’encourager dans ses progrès en autonomie. »

Etiqueté ou stigmatisé

Donc, ledit Hector est considéré comme handicapé par la collectivité locale qui a autorisé cette prise en charge, son professeur le perçoit comme différent des autres, ses camarades aussi, et il n’est pas certain que cela ne crée pas avec eux les difficultés de contact que l’AVS/AESH a pour mission de faciliter. Pour notre part, il nous parait évident qu’on ne saurait encourager à l’autonomie un enfant qui peine à lire et à écrire « sans cause évidente » en le flanquant d’un adulte – aussi bienveillant et stimulant soit-il –, ou en lui donnant plus de temps que les autres pour la même tâche : le fameux « tiers temps supplémentaire ».

Car la question se pose alors du temps pendant lequel on maintient le dispositif. Si l’on est étiqueté « dys « à l’école, est-ce biodégradable ? à partir de quand cesse-t-on d’être « handicapé » ? quand doit cesser la prise en charge ? Hector devra-t-il convaincre le DRH qui le reçoit en entretien d’embauche qu’il faudra prévoir, lorsqu’il sera en poste, de ralentir la chaîne de production, ou de négocier chaque fois un délai supplémentaire auprès des clients, ou d’allonger les réunions, bref de prévoir un temps supplémentaire afin qu’il fournisse le travail demandé par sa fonction ? et aussi de recruter une assistante qui s’assiéra à ses côtés afin de l’encourager à répondre à ses mails ? Caricature ? ou conséquence logique de ce qui est aujourd’hui mis en place ?

Nous pensons que, s’il faut en effet aider les enfants à acquérir le plus d’autonomie possible, il est moins risqué de les laisser s’y essayer à 9 ans qu’à 19 et plus. Nous croyons qu’il y a une place à occuper par les parents et les enseignants, place qui se situe entre « prendre en charge » et « abandonner » : elle existe dans cet espace de la « responsabilisation » où l’adulte se tiendra à côté de l’enfant et non entre lui et le monde.

De grands progrès médicaux.

Il est curieux que dans l’histoire des sciences, on ne retienne pas l’année 1973 comme celle d’une victoire majeure sur une maladie. Par la grâce du vote d’un peu plus de la moitié (seulement) des psychiatres américains qui définissaient alors ce qui devait être traité comme une maladie mentale, des millions de personnes homosexuel(le)s ont été guéries. En un trait de plume qui raya l’homosexualité  de la liste des maladies mentales.

A force de dire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver : l’histoire de Raphaël.

Quand son meilleur ami s’est tué en montagne, les parents de Raphaël ont préféré qu’il voie « quelqu’un », pour l’aider à « passer ce cap ». Au cours de la consultation, le spécialiste demande à Raphaël s’il pense toujours beaucoup à Gabriel.

« Tous les jours, répond le jeune homme. J’ai vraiment besoin de lui dire tout ce que je fais, de partager avec lui ce que je vis, de lui parler.
– De lui parler… et… il vous répond… ?
– Oui, affirme Raphaël. Toujours.
– Vous entendez sa voix ?
– Oui, c’est ça. Enfin, ce n’est pas vraiment la sienne, c’est une voix un peu étonnante, comme celle d’un dessin animé, mais je sais quand même que c’est lui. C’est assez étrange…

Le diagnostic de schizophrénie fut aussitôt posé, et Raphaël hospitalisé plusieurs semaines.

Le médecin qui suit régulièrement Raphaël vérifie à chaque consultation s’il entend toujours cette voix de dessin animée que Raphaël avait fini par décrire comme celle de Bart Simpson. faire-fi-etiquetteRaphaël répond selon les cas : « Un peu… pas trop…pas souvent… il y a longtemps », sauf quand Bart dans sa tête devient trop envahissant, le harcèle et tient des propos très inquiétants : « Tu vas voir tout le monde à poil en conseil stratégique » ou « le chiot que tu crois avoir caressé tout à l’heure, en fait, tu l’as étouffé. » Alors, Raphaël tremble à chaque réunion, et ne s’approche plus des animaux qu’il aime tant. Par conséquent, Raphaël est hospitalisé régulièrement.

Dans le service de psychiatrie, tout le monde le connait, du personnel d’entretien aux soignants. « Raphaël-le-gentil-schizo est arrivée hier : traitement habituel. »

Et il y eut cette fois où, le chef de service étant absent, un jeune psychiatre menait la visite. En compagnie de l’infirmière, il consultait chaque dossier : quoi de plus normal quand on ne connaît pas les patients ?

« Raphaël… Raphaël… Je vois, hum… bon. Bien…. Bon. Vous allez rentrer chez vous ? vous habitez seul ?
– J’ai un appartement avec ma copine.
– Et quand vous n’êtes pas à l’hôpital, vous faites quoi pour vous occuper ?
– Je travaille. Dans la même entreprise depuis 2 ans. Ils sont sympas : mon N+1 sait que j’ai cette maladie et que je dois me faire soigner, que je suis hospitalisé de temps en temps. Il fait le tampon.
– C’est quand même bizarre ça, un schizo qui a un boulot et une amoureuse », dit le jeune psy à mi-voix.

Il était la première personne à ne pas affirmer « Raphaël est schizophrène », le premier à dire, en quelque sorte : « Vous avez été diagnostiqué schizophrène » et le premier à laisser entendre « Mais permettez-moi d’en douter. » Le doute du spécialiste a effrité le diagnostic.

Bart Simpson se trouva réduit au silence, en dehors des rediffusions télévisées.

La suite du traitement permettra à Raphaël de vivre bien, malgré la perte du diagnostic. Car il n’est pas toujours facile de se défaire de ce qui vous a défini si longtemps.