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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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Bien finir

Finir l’année. Clore les dossiers en cours. Achever les travaux entamés. Se dépêcher pour accomplir enfin tout ce qu’on n’a pas eu le temps de faire. Se préparer à commencer un an neuf, voire une autre vie où seront mises en place nos bonnes résolutions. Finir l’année comme on se prépare à remplir une nouvelle page.

Terminer sa thérapie n’est peut-être pas si différent – c ’est potentiellement le reste de la vie qui s’ouvre – sinon qu’il n’y a pas de date décidée à l’avance.

Pour nous, thérapeutes formés au modèle de Palo Alto, la fin de la thérapie est signifiée par la fin de la souffrance. Ce sont donc les patients qui savent. Parfois, en ouvrant la porte de la salle d’attente, on sait que ce sera la dernière séance : sur le visage apaisé de son patient, on lit aussi une forme d’interrogation, voire de gêne, quelque chose qui signifierait « Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire aujourd’hui, à mon thérapeute ? ». Parce que ça va bien ! si bien qu’il ne se souvient plus vraiment de ce qui l’a poussé à consulter…

Cette séance est pourtant d’une telle importance ! C’est à ce moment-là que l’on peut proposer au patient de refaire le mouvement par lui opéré. Avec cette question, syntaxiquement simple et néanmoins totalement absconse pour la logique du désir : « Que pourriez-vous faire pour revenir à la situation qui vous a poussé à consulter ? ».

Les patients répondent souvent : « Mais je ne veux surtout pas cela !».

Evidemment.

« Mais, cependant, si l’on imaginait le cas aberrant où vous auriez décidé de vous replacer dans la situation qui vous faisait tant souffrir, vous feriez quoi ? »

Les patients savent le plus souvent. Sinon, c’est qu’ils ont oublié à quel point ils allaient mal, et nous reprenons avec eux nos notes. Le but de cet exercice théorique ? Comprendre le mouvement. Le connaître, le reconnaître, l’appliquer à d’autres espaces de la vie, si cela est possible. Faire un apprentissage et l’élever à un niveau « méta ».

Mais quel « secret » apprendraient nos patients ?

C’est simple à dire et un peu déroutant à expérimenter.

Prenons Bruno.

Il est père d’un ado qui l’inquiète beaucoup, vraiment. Joris est triste, il traîne son spleen et ses baskets, parle d’une voix monocorde et rien de l’intéresse. Bruno, ça l’énerve : ce gosse a tout pour être heureux et il n’est même pas si mauvais à l’école ! et il a des potes. Et une copine. Alors ?

Donc Bruno crie.

Non, il hurle.

En fait, il gueule tout le temps.

L’autre, le Joris, fait le poulpe offensé et part cacher ses membres mous dans sa chambre.

Bruno essaie de le secouer ; oui, un peu fort parfois. Et forcément, Joris se renferme davantage.

Au cours de la première séance, Bruno dit : « Il est triste. Et ça m’énerve ».

A la fin de la thérapie, Bruno affirme : « Bon, il fait toujours la gueule. C’est pénible, mais quoi ? On ne s’en occupe plus : c’est un ado !»

Prenons Jocelyne.

Jocelyne est venue parce qu’après une journée professionnelle très remplie (quand on est cadre dans un groupe dynamique…), une fin de journée harassante (quand on est maman de 4 enfants de moins de 10 ans…), une soirée laborieuse (quand on a une maison à entretenir…), au lieu d’aller sagement dormir comme le préconiseraient sa mère et la sagesse, Jocelyne, elle, regarde des séries, se balade sur Internet pour suivre les blogs qu’elle aime, pète son score à Gandhi Cruche, écrit des mails à sa sœur qui vit en Australie et s’endort vers 3 h du mat’, comme une étudiante. Or, Jocelyne a un métabolisme de marmotte en hibernation lequel réclame au bas mot 10 heures de sommeil. On voit que l’équation n’est pas simple.

Au cours de la thérapie, Jocelyne a découvert que cette attitude « inconsciente » ou « rebelle » serait peut-être la meilleure façon de rester performante dans tous les domaines, en se ménageant un espace pour ses loisirs. Une respiration. Quelque chose de vital, finalement. Alors, si elle a un peu sommeil après le déjeuner, elle fait une micro-sieste. Comme avant la thérapie.

Lors de notre dernière séance, après avoir fait en vain le tour de ce qui pouvait nécessiter un travail thérapeutique, Jocelyne a réfléchi.

Puis, elle m’a dit que, finalement, dans sa vie, rien n’a changé. Rien.

Ce qui a été modifié, c’est sa façon de voir cette vie et la place des choses qui la composent.

bateaux

Bonne fin d’année à tous !

Muriel Martin-Chabert