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À 180 Degrés / Chagrin Scolaire

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#MerciProf
Après la vague

L’affaire semble déjà ancienne : c’était il y a un mois, autant dire l’éternité sur la planète connectée.

Les autres reprennent en suppliant un peu : « Mais, mettez-le présent… ».  L’élève, d’une voix autoritaire, répète la phrase ponctuée de ce même « purée » qui semble bien modéré par rapport à ce qu’on voit : un élève braque un flingue sur sa prof, à la toucher. L’arme est factice. L’enseignante ne le savait pas à ce moment-là.   Ce qui me frappe quand je regarde cette vidéo, c’est l’impassibilité blasée de la dame. Cette absence de réaction a été analysée comme une marque de sidération par certains journalistes. Pourtant, lorsqu’il lui a ordonné « Tournez votre tête », la prof a pivoté vers son ordinateur, la jambe gauche toujours croisée sur son genou droit. En le faisant, elle a soupiré : « N’importe quoi… ». Voilà qui ressemble à une marque de courage, de sang-froid. Mais le calme de l’enseignante filmée ne dénote-t-il pas, encore plus que des nerfs d’acier, une sorte d’habitude, qui aurait été acquise à force d’entendre des propos injurieux, ou de supporter des conduites irrespectueuses ?

Merci (la)

Car, la fréquence des agressions d’enseignants par des élèves ou leur famille ressort de l’abondance des témoignages.  C’est parce que c’est courant que « #pasdevagues » a pu rallier tant de profs ; et le hashtag a irradié sur les réseaux parce que les enseignants réclament que leur hiérarchie, le Ministère et les directions d’établissements, les entende et les soutienne sans plus minimiser quand ils dénoncent des faits de cette teneur et de cette gravité.  On mesure leur désarroi et leur indignation à la lecture des tweets empreints de colère et de ressentiment.

Certes, de toutes les cases de l’échiquier politique, chaque élu ou nommé s’est dit choqué, scandalisé par l’inadmissible comportement du lycéen.

On a promis sur le champ des sanctions et des mesures accrues de protection, notamment des policiers au lycée…   On peut s’interroger sur la faisabilité d’un tel dispositif, mais ce qui importe, c’est que si la solution répressive était efficace, cela se saurait, comme l’a dit en substance un collègue de la dame braquée.  Par ailleurs, le sous-entendu qui émerge de cette proposition d’une présence policière dans les écoles n’est pas mince. On doit faire respecter la discipline….  On doit se faire respecter. Qui ? suivez mon regard…

Très vite, il est ressorti des commentaires entendus ici ou là, que les profs seraient trop laxistes.  L’antienne n’est pas nouvelle.   On en parle depuis plus de 100 ans au moins, comme le prouve ce « propos » du philosophe Alain, daté de 1909, et « tweeté » par un enseignant, texte qu’on peut lire aussi comme les prémices du hashtag en question :

« Tout le monde connaît le mal ; personne n’ose en parler. Les professeurs eux-mêmes rougissent du chahut qu’on leur fait comme d’une maladie honteuse. Nous en sommes à ce point qu’un jeune mathématicien, si on l’enferme une heure par semaine avec des galopins de quatorze ans, entendra des cris d’animaux, et passera son année à distribuer inutilement des retenues.

L’administration connaît ces désordres, mais elle veut les ignorer. Elle laisse entendre, dès qu’on la pousse là-dessus, que le professeur est seul coupable. En quoi elle ment. C’est à peu près comme si un gendarme accusait de maladresse ceux qui se laissent assassiner. Non ; le rôle d’un jeune savant est d’instruire, et non pas de faire le garde-chiourme. Aux surveillants, aux censeurs, aux proviseurs il appartient de faire régner l’ordre. Et dès qu’ils voudront bien agir énergiquement, le professeur fera sa classe en paix. Mais tout au contraire, ils ont peur de tout, peur des parents, peur des amis des parents, peur du maire, peur du député : ils ont peur surtout de perdre un élève. C’est pourquoi ils se montrent doux, conciliants, indulgents aux dépens d’autrui »

Merci (le)

Le propos du philosophe accuse sans ambages. Les enseignants de 2018 sont plus nuancés, mais c’est l’absence de solidarité de la hiérarchie et des directions d’établissements face à des faits graves qui a fait déborder la colère : loin de les soutenir, on leur demande souvent de faire profil bas.

Les enseignants se sentent pris entre tous les feux, accablés d’injonctions contradictoires : accompagner chaque élève sans laisser personne sur le bord du chemin, inciter à une participation active en maintenant le calme, évaluer les acquis sans pénaliser parce que c’est stigmatisant, transmettre dans la joie et sérénité les matières que l’on aime profondément à des jeunes, qui parfois détestent l’école et ses contraintes, qui parfois rapportent de chez eux une bien piètre opinion de cette profession.

« Ils exercent un métier ultra-critiqué, tous les parents ont un avis, c’est un peu comme avec le sélectionneur de l’équipe de France », explique Emmanuelle PIQUET dans un article du Parisien, daté du 21 novembre 2018, consacré à l’idée qu’a eu le Projet Voltaire de lancer, sur Twitter et en soutien à #pasdevagues, un nouvel hashtag   : #MerciProf !

Qu’ils évoquent leurs difficultés professionnelles, on renvoie alors les enseignants à leurs « avantages » : on croit savoir qu’ils ont la sécurité de l’emploi, qu’ils ne travaillent que 18 heures par semaine, ont toutes les vacances scolaires ; et la gratuité dans les musées ! Sont balayés comme quantité négligeable, au motif « qu’ils se plaignent toujours », les heures de préparation, de correction des copies, l’énergie demandée face à une classe. Ils agacent, on ne les estime plus beaucoup.

Et c’est à eux que l’on confie nos enfants.

On a tout à fait raison dans l’immense majorité des cas, et paradoxalement, la plupart d’entre nous a été marqué par un « super prof », même les cancres. Dans nombre de cas, ce maître ignore à quel point il a bien fait son boulot.

Mais qu’est-ce qu’un prof ? le plus souvent, un prof, c’est un ancien (souvent très) bon élève passionné par sa matière, qui souhaite transmettre le plus possible de ce goût-là à des jeunes. On en connaît qui ne comprennent pas du tout qu’il soit simplement imaginable de ne pas s’intéresser à l’histoire ou à la poésie ou à l’électricité ou à la biologie cellulaire ou à l’économie mondiale ou la technique du saut à la perche (barrez les mentions inutiles).  Un prof, c’est aussi celui qui s’accroche à « son mât » et qui, face à une classe de scientifiques dont la seule préoccupation du moment est le calcul des intégrales, lit avec une ferveur qui fait basculer le bureau sur lequel il s’appuie, « Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres ». Personne ne s’est moqué, il y a 40 ans, ni des vers de Péguy qui en ce lieu n’intéressaient personne, ni de l’homme qui les portait à en tomber lui-même. Et je me souviens encore de : « Vous nous voyez marcher sur cette route droite, tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents ». Je n’ai rien oublié non plus de son cours sur Montaigne. Ce qu’il ne sait sans doute pas.

Pour rejoindre l’initiative du Projet Voltaire, chacun est invité, parent et enfant, « à se prendre en photo avec le nom de leur enseignant préféré sur une feuille A4 ou une ardoise et à partager un court message de reconnaissance sur Twitter. »

À Monsieur Teissier : #MerciProf!

Muriel Martin Chabert